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7 novembre 2011 1 07 /11 /novembre /2011 11:08

 

 LES BENINOIS ET LE LIVRE : QUELLE RELATION ?

GBAGUIDI  Ph D, M.A

L’immersion du Béninois dans la culture occidentale, loin de modifier en profondeur son mode d’appropriation et d’organisation de l’information sur son environnement, a plutôt superposé deux comportements, produits de deux types de culture : la culture de l’oralité et celle de l’écrit. Le béninois, même non scolarisé a adopté très  facilement les médias de diffusion, à savoir la radio et la télévision_ prolongement technique de la parole dite. Dans le même temps, les médias autonomes (livre, journaux et autres périodiques) peinent à trouver une place véritable dans les pratiques culturelles dans notre société.

            Comment comprendre, expliquer et concilier l’attrait qu’exerce l école sur le béninois la boulimie pour les diplômes propres aux citoyens du Quartier Latin, avec la relation, à la limite très superficielle et très sélective qu il développe  avec le livre. Le livre est un média, avons-nous dit. Et la lecture, un processus de communication,  une interaction, un acte social, une situation où chacun s engage avec toute sa personnalité, ses besoins qui déterminent ses motivations et ses choix.

            .

1 _ En guise d’hypothèse de travail

            La relation que le béninois développe avec le livre et la lecture, tel que nous l’avons observée et continuons de l’observer sur le terrain, nous  autorise à poser ici quelques hypothèses de travail.

                        1_ Il n’existe pas chez le béninois, une relation automatique et directe entre le niveau d’instruction (même supérieure) et l’amour du livre. Si nous nous permettons d’emprunter le terme  de Shannon, nous dirions que l’existence d’un répertoire (même maximal) commun entre l’émetteur et le récepteur n’est pas une condition suffisante pour qu’il y ait activité de communication.

                        2_ La relation au livre observée, ne constitue pas un phénomène isolé et résiduel, réduit à quelques couches ou tranches  de la société. Le phénomène est massif. Il constitue une tendance lourde. Il est un trait de caractère déterminant de la personnalité  (personnalité utilisée ici comme un concept pouvant désigner une réalité individuelle et/ou collective) du béninois, personnalité dont les trois principaux facteurs sont selon Cheikh Anta .Diop : les facteurs historiques, les facteurs linguistiques et les facteurs  psychologiques

                        3_ La relation qu’entretient le béninois avec le livre, est le signe de l’échec des aînés dans leur rôle de servir de modèle à la jeune génération. Sachant que nos sociétés sont encore très largement des sociétés de type postfiguratif  et/ou cofiguratif, nous sommes tenté de dire que le livre occupe la place que les aînés ont voulu et veulent qu’il occupe dans la société béninoise.

4_ Enfin, une quatrième hypothèse, par déduction de tout ce qui précède, et par extrapolation. Les  nouvelles  technologies de l’information et de la communication, dans leur volet CDROM et ordinateur, n’apporteront point en quelques années les grands changements comme le prétendent les discours ambiants.

                       

2 _ Fondements théoriques de l’analyse

Shannon dans sa tentative de théoriser la communication, avait, par un raisonnement linéaire, connu encore sous le nom  de théorie mathématique ou mécanique de la communication  inventé des outils d’analyse comme fiabilité des canaux, codage, encodage et décodage. Le codage et encodage qui apparaissent comme les  principaux  éléments du processus de  la  communication, seraient interdépendants, donc liés par l’existence d’un minimum de répertoire commun à l’émetteur et au récepteur. Ainsi la fiabilité du canal et le répertoire de codes communs seraient selon Shannon les éléments déterminants de la communication. A la naissance des sciences de la communication, cette manière d’entrevoir la communication fut certainement une avancée, mais elle est inefficace pour expliquer et rendre compte de toutes les dimensions du phénomène de la communication. Car s’appuyer sur Shannon, pour élucider les rapports qu’entretient le béninois avec  le livre reviendrait à dire, que le béninois n’aiment pas la lecture parce qu’il n’aime pas l’école, ou, disons-le ainsi, parce qu’il n’aime pas les études ! Or nous le savons,  au Bénin  c’est le contraire qui paraît vrai. Autrement dit, l’amour du livre ou de la lecture, ne serait  pas proportionnel à la qualité et à la quantité du contenu de son répertoire. On peut se permettre ici de parler de compétence linguistique en français, comme élément non très déterminant dans le rapport que développe le béninois avec le livre et la lecture. Il y a d’autres éléments et d’autres paramètres, qui nous permettent de dire que la communication est bien plus qu’une simple transmission ou réception de messages. Car en dernière analyse, le modèle de Shannon  est plus un modèle de transmission que de communication comprise comme une interaction. Et la lecture, à notre humble avis est une interaction entre un acteur (émetteur virtuel) et un  autre acteur (un récepteur réel et concret).

            Dans les conditions ou le modèle de Shannon ne nous permet pas d’élucider le phénomène, nous suggérons donc d’aborder la problématique en nous fondant sur l’approche psychosociologique de la communication  de ABRIC J-C qui définit la communication comme, « l ensemble des processus par lesquels s effectuent les échanges d informations et de significations (…) dans une situation donnée ». La communication qui selon ABRIC J.C, peut être délibérée ou inconsciente, mais qui ne saurait échapper à la triple influence des paramètres psychologiques, cognitifs et sociaux, ce qu’il appelle « facteurs déterminants de la communication ». Cette approche, est aussi celle de Kagan M. C. qui propose de distinguer dans la structure du processus de communication, comprise comme une interaction, trois principaux éléments, que sont : les acteurs (émetteur et récepteur) en situation de communication, les moyens de réalisation ou les canaux de communication, en fin l’environnement socioculturel dans lequel se déroule la communication. Selon Kagan M.C. ces trois éléments sont dans un rapport dialectique, d’influence permanente et réciproque. L’environnement influençant les acteurs, le choix des canaux, le contenu des message et la stratégie de réalisation de la communication.

            Cette approche psychosociologique de la communication, appliquée à notre problématique, permet un discours plus cohérent et plus transparent. L’environnement socioculturel béninois dans une large mesure n’est pas favorable au développement de la lecture, comme source d’information et d’enrichissement de l’individu. La dimension psychologique et sociale de la communication apparaît ici plus lisible et rend mieux compte du  phénomène. Le conditionnement historico psychologique du béninois a fait de lui un homme d’écoute, un homme à activité auditive plus importante.                  

3 _ Le livre  au Bénin: produit culturel par diffusion

            a) _ L e livre : produit culturel par diffusion

            Toute l'histoire des hommes nous apprend que l'être humain a toujours cherché à maîtriser l'information sur son environnement. Pour cela il a « amélioré sa capacité à recevoir et assimiler l'information... et à accroître en même temps la rapidité, la clarté et la diversité de ses propres méthodes de transmissions de l'information »[1]

Cette quête de l'homme s'est traduite au cours des âges par la production en masse de la chose écrite   "le livre" et ce, grâce à l'invention de la typographie en Chine en 1038 par PI  SHANG. Une grande révolution qui sera achevée en 1455 en Europe par Gutenberg.

L'invention de l'imprimerie a fait basculer l'humanité dans une nouvelle aventure, merveilleuse et palpitante; une nouvelle ère, transformant du coup en profondeur, la culture et les rapports de l'homme à la culture.

L’Afrique par diffusion, et partant le Bénin, a été gagnée par l'écriture moderne faisant ainsi son entrée dans la civilisation moderne de l'écrit, la civilisation du livre qui n'est autre chose qu'un degré supérieur de maîtrise de l'information, de sa conservation et de son partage. L’Afrique dominée par une civilisation de l'oralité, une oralité souvent glorifiée et chantée, a fait une place au livre sans vraiment l'adopté. Cet état de chose détermine jusque- là, la très modeste place du livre dans la vie de l'Africain. Héritage de civilisation  et conditions socio-économiques nourrissent le mal du livre. Et si à tout ceci, viennent se greffer  les différents choix politiques faits en matière culturelle, nous avons  le tableau complet des causes directes et/ou indirectes qui expliquent la place de la lecture et de l'état  du livre au Bénin.

            b) _ Le  Bénin. : Caractéristiques anthropoculturelle

                        Le livre est un produit culturel d’importation relativement récent au Bénin. Et il est peu de dire que le Bénin est une société de tradition orale pour justifier l’état des relations entre le béninois et cet objet culturel. Et ce, parce que tous les peuples ont connu au cours de leur histoire une étape d’oralité. Et de ce point de vue la France par exemple, peut aussi vanter une riche tradition orale passée. Mais ceci n’a pas empêché la société française d’inventer d’autres modes de communication  et de conservation du savoir et de l’information. Ceci n’est pas le cas en Afrique en général, et au Bénin en particulier.

                        D’aucuns se permettent de qualifier nos sociétés de « société de culture du secret », ce qui constituerait un obstacle au développement d’une culture de l’écrit, vu comme le commencement de la divulgation des secrets. Mais plus que cela, l’écrit est aussi le début de la dépersonnalisation des rapports humains, donc de diminution et de perte de pouvoir sur autrui.

 

4 _ Approches définitoires, caractéristique et typologie du livre

            a)_ Définition  du livre

Nous présumons que la définition du livre est connue de tous. Mais il ne serait pas inutile ici de rappeler quelques définitions usuelles pour les besoins de cette réflexion.

Selon le" petit Robert" un livre est un assemblage d'un assez grand nombre de feuilles portant des signes destinés à être  lu, le livre est  reconnaissable par le nombre assez grand de ses pages par opposition à la brochure

Les sciences de la communication définissent le livre comme un support d'information, un moyen, un média dit autonome car ne nécessitant aucun raccordement spécial à un réseau particulier avant être utilisé.

Sur le plan  anthropologique, on peut aborder le livre exactement comme un objet, qui deviendrait un instrument en prenant de la valeur, si l homme décidait de lui en donner.

 Enfin, au sens économique le livre est un produit fini, un produit de consommation, donc ayant un coût.

 

 

b) _Caractéristiques  d un média  autonome  nommé  livre

Un média est un équipement technique permettant aux hommes de communiquer  l'expression de leur pensée, quelles que soient la forme et la finalité de cette expression. (BALLE F. 1988 p 51). Quelles sont alors les caractéristiques de ce média?

Les principales caractéristiques du livre découlent des définitions retenues plus hautes. Ainsi en tant qu "assemblage de feuilles portant des signes destinés à être lu», le livre  est un système de codes, un tissu de signes. Ce qui,  nous laisse dire, qu'entre son auteur et le lecteur du livre, il  existe, ou devrait exister un répertoire d'un minimum de codes communs. En d'autres termes, un minimum de compétence linguistique est requis pour avoir accès à l'information, au message contenu et véhiculé par ce dernier. Sachant  bien-sûr, qu'un livre n'est pas seulement qu’un message ; il est aussi une langue, une construction, une esthétique. Faire  la lecture, c'est justement aller à la rencontre de ce tout inséparable, se l'approprier, aller au contact de l'auteur et l'écouter s'adresser à nous dans un tête- tête librement accepté. Le livre comme média autonome fait du lecteur un être autonome aussi. Le livre est un média autonome et disons le ainsi, est un acteur passif dans le processus de la communication obligeant le lecteur à une mobilisation totale de toutes ses ressources (physiques, intellectuelles et psychologiques). L’acteur actif du processus de communication qu'est la lecture, demeure l'homme. Et lui seul, organise et s'organise pour la conduire  à terme. Contrairement à la radio et à la télévision, le lecteur est libre, et non soumis au rythme d’un chef des programmes ou d'un directeur...

Le livre est une marchandise. Certes pas une marchandise comme les autres, et c'est pour cela que le livre est vu, à la fois, comme un produit culturel et comme un produit commercial. Et de ce point de vue, le fruit qu'on en tire, les bénéfices à attendre d'un investissement dans une activité comme celle du livre ne sauraient être "express" comme ces jeux de tombola. Mieux, ces bénéfices ne peuvent toujours pas être évalués en termes monétaires. Le livre, produit commercial est donc un produit spécifique.

 

            c) _Typologie du livre.

            Nous voudrions rappeler que cette typologie est arbitraire. Elle est voulue  ainsi, juste pour apprécier le livre dans le contexte béninois, qui est le cadre de cette analyse. 


Nous voudrions distinguer ici, juste deux grands types de livres. Et ce,  en nous fondant sur un critère arbitraire  tel que : "motivation de l’acte d’achat d’un livre". En essayant de catégoriser les achats, nous distinguons  globalement deux types, à savoir : les livres que  nous appelons pour la circonstance,"utilitaires". Il s'agit de tout ce que nous achetons, parce que, "prescrit " par l'école,  tout ce dont nous avons besoin pour des raisons professionnelles. Le second grand volet est celui des livres acquis par et pour le plaisir. Le plaisir de lire, de découvrir, de nourrir son imagination, d’aiguiser son intelligence au contact de l'autre; l'autre  nécessairement étranger. Disons, le plaisir de rencontrer tout simplement des ‘têtes savantes’ Nous parlerons de livres d'évasion et de culture générale

 

4 _ Le livre dans le contexte socioculturel béninois.

a)_   Aux  origines  du   livre

Parler du livre chez nous au Bénin, c'est avant tout parler de l'histoire de l'institution scolaire au Dahomey, devenu Bénin. Une telle démarche s'avère nécessaire et se justifie par le fait que tout le processus littéraire national, n'est rien d'autre que la conséquence notoire de la scolarisation, comme l’écrit HOUANNOU A. Une scolarisation amorcée en 1861 par les pères des Missions africaines de Lyon arrivés à Ouidah et qui fondèrent les premières écoles, où seront formés beaucoup de jeunes dahoméens.

A partir de 1940, l'administration coloniale décida d'une politique de collaboration avec les missions, en même temps, qu'elle initia des  actions de subventions de ces écoles. L'expérience selon beaucoup de chercheurs se révélera très payante et l'investissement très productif. La prouesse fut aussi remarquable que,  savoir lire et écrire devint la condition première pour se sentir appartenir à la nouvelle société en création. L'instruction ouvre de nouvelles perspectives et assure une promotion sociale.

Si telle fut la situation de l'école, florissante et dynamique, par déduction on peut oser dire, que telle fut aussi la situation du livre, principal accessoire pédagogique dans le processus de formation

Le succès de la scolarisation fut incontestable et c'est justement ce que fera remarquer CORNEVIN R au début du  XXe siècle lorsqu'il écrivait : « trois foyers intellectuels se détachent : le Sénégal, le plus ancien, puis le Dahomey et le Gabon »[2] Selon certaines sources, une opinion similaire est soutenue par Emmanuel Mounier, philosophe français qui visitait pour la première fois le Dahomey et qui,  n'hésita point à donner le qualificatif de "quartier latin" au Bénin. Ce rappel était important à faire, afin d'expliquer ce que j'appelle le paradoxe béninois, seule manière de comprendre la situation actuelle du livre au Bénin et peut-être aussi en Afrique noire francophone. Comment est-il possible que l'école ait eu, et a si tant de succès  sans pour autant favoriser l'adoption du livre comme une source nouvelle et importante de savoir et la lecture comme moyen d’enrichissement permanent?

Cette question peut paraître banale. Car en fait, l'école béninoise aujourd'hui a environ un siècle et demi d'age et si elle n'est pas  arrivée à faire entrer le livre dans notre quotidien, il y a lieu de s'interroger sur beaucoup de choses.  Surtout sur  la perception qu'a le béninois du livre. Que représente le livre dans ses systèmes de représentation et de valeur du béninois ?

 

            b) _ Le livre  dans   l’imaginaire   collectif   béninois

Seul un travail de recherche méthodiquement conduit pourrait nous renseigner d'une manière précise sur la représentation que le commun des béninois a du livre. Mais d'ores et déjà, nous voudrions  bien vous livrer quelques résultats de nos observations purement empiriques. Chez nous au Bénin nous n'offrons pas de livre à un ami, à un parent en guise de cadeau d'anniversaire, de mariage ou de fêtes de fin d'année. Aussi, un enfant à qui vous demanderiez de choisir entre un livre et une chemise, choisirait sans hésiter la  chemise. Promenez-vous, si vous en avez le temps vers la plage, et observez ceux qui occupent les bancs publics. Vous ne verrez presque personne avec un livre comme compagnon. A la plage même le spectacle n'est pas  différent. Continuez votre observation dans les établissements bancaires ou assimilés où il nous arrive de passer parfois plus d'une heure à attendre notre tour dans les rangs. Vous ne verrez personne prendre spontanément son livre de poche et commencer une lecture. Et pour terminer, veuillez faire un tour vers les caisses de la Société béninoise d’électricité et d’eau où il nous arrive de faire toute une matinée debout. Est-ce que nous ‘tuons’ le temps en épluchant un petit roman? Non ! Et puis, combien sommes- nous  à savoir les chemins des librairies avant les rentrées des classes ? Très peu. Mais pourquoi  en est-il ainsi ?

Ce petit tableau  nous montre assez bien que le livre n'est pas notre compagnon, notre" ami ". S’il arrive qu'il soit avec nous, il est vite perçu comme un ‘intrus. Dans ce cas, comment comprendre l'engouement du béninois pour les diplômes qu'il accumule à longueur d'années, en parcourant le monde du nord au sud et de l'est à l'ouest comme le souligne si bien AGBOTON dans son livre  « Culture des peuples du Bénin » ?

Le livre pour le commun des béninois est assimilable à une ‘échelle dont on se sert pour aller sur l'arbre’ qui assure le bonheur: la fonction publique, l'emploi bien payé ou non. Mais en réalité la situation de l'échelle (instrument) est meilleure à celle du livre. Et pour la simple raison que l'on ne jette pas l'échelle, en tout  cas, pas loin de soi quand on a atteint la hauteur souhaitée sur un arbre ou sur une toiture. Non ! On est toujours assez prudent pour comprendre  qu’on  en  aura besoin pour redescendre, alors qu'une fois le diplôme obtenu, le Béninois considère son contrat avec le livre terminé. On se débarrasse assez facilement de ses livres. A défaut de les transmettre à un jeune parent qu'on veut bien aider,  ils atterrissent chez la femme, vendeuse d'ignames et de beignets au bord de nos routes. En conclusion, le livre apparaît juste comme un moyen d'ascension sociale, et non comme un  moyen d'épanouissement individuel, un objet de plaisir

Ce développement n’est peut-être valable que pour les lettrés et les intellectuels. En effet, dans le monde non scolarisé le livre est perçu comme l'objet qui a ouvert les yeux  aux autres peuples qui  ont  pu dominer l'homme noir pendant des siècles, et encore aujourd’hui. De cette perception découle deux attitudes presque contradictoires. La première consiste à  se dire qu'il faut donc s'en servir, pour " s'ouvrir les yeux ". L'autre paradoxalement, consiste plutôt à voir dans le livre (instrument de domination) un objet diabolique, source de perversion et de ruse. Alors,  afin d'éviter à sa progéniture la déviance, on le préserve de l'école, donc du livre.

Nous avons déjà entendu au cours de multiples conversations, des adultes accusés ouvertement la lecture d'être responsable des dépravations des mœurs observées chez les jeunes. En définitive, auprès de qui le livre a  t-il  une bonne image ? On pourrait dire, juste auprès d'une poignée d'inconditionnels, de passionnés ou d’amoureux. Pour  ces derniers le livre est  un moyen d'émancipation, d'épanouissement et d'évasion. Et, surtout un patrimoine commun, fruit de l'intelligence humaine, alors que de grande majorité continue de voir dans le livre un objet étranger à notre culture, lointain et imposé par la civilisation européenne.

 

            c) _  Mœurs  et   pratiques   béninoises

Bon gré mal gré, le livre se trouve dans le paysage du béninois, dans son environnement et il entretient avec lui des rapports assez évocateurs. Et ces rapports commencent pour nous, pour la très grande majorité des béninois à l'age de six ou sept, quand vient le moment de franchir les portes de l'école. Et Dieu sait, dans quelle condition tout enfant a fait ses premiers pas à l'école. Qui n'a pas versé des larmes, hurlé et se fait traîner quelques fois par des parents un peu trop brutaux ? Découvrir le livre, ce précieux outil dans une telle condition déterminera dans une certaine mesure nos rapports futurs avec ce dernier. Pour l'enfant béninois le livre est symbole de contrainte et de tourments.


Pourquoi en est-il ainsi ? La réponse pourrait se trouver dans le fait que, les parents n’ayant plus aucun contact avec le livre ne constituent pas des modèles pour leurs enfants. Le plaisir de papa se trouvant dans les verres... Pour ceux qui ont gardé un certain rapport avec le livre, il est (ce rapport) surtout professionnel. Dans ce cas les parents n'ont que des livres " utilitaires" auxquels un enfant ne saurait toucher, sans voir ‘’pleuvoir’’ des coups de chicottes sur sa petite tête qui a osé toucher au  ‘grand livre’  de papa ou de maman.

Revenons à l'école pour faire remarquer qu'il existe une pratique chez nous qui veut que l'enfant hérite des vieux livres de son frère aîné, les tenues et les chaussures de ce dernier aussi. Alors, l’enfant entre dans une aventure nouvelle, faite de dépaysement et de beaucoup d'incertitude avec "du vieux," : livres cornés, scotchés. Vous imaginez-vous le choc psychologique reçu par cet enfant ?  Quel enfant n'a pas rêvé avoir dans ses mains des livres" pétillants" aux couleurs vives et fraîches, aux contours nets et francs, exaltant un parfum discret à nul autre pareil ? Quel enfant n'a pas  rêvé  pouvoir sortir de son sac, un  livre, son livre à lui, flambant neuf et l'exhiber fièrement devant  les petits copains? Mais combien de nos enfants ont  cette chance? De nos jours un autre phénomène s’observe : la photocopie de quelques pages de livres (souvent ternes grises) qui remplace les vieux livres du grand frère, les librairies par-terre aussi, ou les livres-friperies.  On pourrait dire qu’il se trouve ainsi réuni un faisceau de conditions défavorables à l’enracinement du livre dans les mœurs de l’enfant béninois, c’est à dire l’adulte de demain. Il n’est donc pas surprenant de constater, que pour l’enfant  le livre ne représente  qu’un objet sordide,   source de frustrations, d’humiliation, donc peu  ou pas du tout valorisé par l’enfant.

A six ans  l'enfant découvre le livre à l'école, un milieu étranger, donc étrange, devant l'instituteur, un inconnu qui a un  pouvoir d'appréciation, de sanction sur lui, et devant une multitude de jeunes enfants aussi inconnus  qu'imprévisibles. Rien de rassurant pour l'enfant dans son initiation à la lecture. Alors comment peut- il aimer le livre et la lecture, comment peut il le prendre pour compagnon pour la vie. ?

 

            5 _  L’école : lieu  d’apprentissage  à  la  lecture

« A l'école, je vais apprendre à lire, à écrire et à compter ». Toutes les écoles peuvent-elles encore adopter de nos jours cette petite phrase pour épigraphe au fronton de leur entrée ?

Il y a plus de deux décennies, un diagnostic clair, sans équivoque a été posé: l'école en Afrique est en crise. C'est le constat fait au troisième sommet de la francophonie à Dakar en mai 1989. Un an avant, la banque mondiale avait--elle aussi constaté la dégradation de la situation de l'école en Afrique. Mais, c'est le professeur CHAUDENSON R qui le mieux a décrit la situation de l'école africaine, et ce, quelques années après le troisième sommet de la francophonie. Il s'interrogeait:

« Une école

         _ Où l'on compte souvent 60 ou 80 élèves par classes?

         _  où les élèves n'ont souvent pas de livre, ni de matériel pédagogique

         _ Où il n’y a pas de  mobilier scolaire

         _  Où les maîtres souvent mal formés, peu et irrégulièrement payés n'ont parfois qu'une compétence approximative dans la langue d'enseignement... peut-elle remplir la mission d'éducation et de formation qu'on lui assigne? « (1993, p17)

C'est une interrogation légitime et cruciale à laquelle la réponse ne peut qu'être décevante sinon alarmante.

Tout laisse croire que toutes les conditions sont remplies pour que le livre se porte mal chez  nous en Afrique francophone en général et au Bénin en particulier.

 

6 _  La  promotion  du  livre 

            a) _  Dans  les  médias

Les médias électroniques sauveront-ils le livre ?  Nous ne sommes  pas lasswellien, et partant, ne croyons pas  à "l'effet direct indifférencié" des médias. Mais nous pensons que les émissions culturelles qui font la promotion du livre ne pourront qu'accompagner un mouvement collectif, un renouveau culturel qui dépendra d'un faisceau d'actions à mener par chacun et par tous. Chacun doit  jouer sa partition, sinon on aura beau faire la promotion du livre à la télévision et à la radio, le livre restera sur les rayons des librairies, éventuellement dans les bibliothèques et assurément  dans les tiroirs de leurs auteurs sous  forme  de manuscrits.

 

            b) _ La part  de  la famille

Tout est question d'éducation. Et l'éducation, définie comme l'acte de préparer l'enfant à la vie, de le sortir de l'obscurité doit pouvoir intégrer très tôt le livre à la vie de l'enfant. Ailleurs nous avons vu des mamans faire des lectures au bébé fœtus.  Nous avons vu aussi des parents avoir des séances de lectures, tous les soirs avec leurs enfants de six mois. Nous avons  vu des parents ramener de leur sortie, des littératures pour enfants.

 Il faut apprendre à lire partout et à tout instant et ceci n'est possible que par une éducation et un apprentissage précoce à la lecture. Il faut offrir aux enfants des livres illustrés faciles à lire, à la place d'une chaussure, d'une chemise, d'un ballon ou  tout autre jouet. Il faut apprendre à féliciter les enfants avec des livres, leur faire la fête avec des cadeaux de livres... Nous voudrions juste dire après BALANDIER G. que : « une civilisation s’apprend dès les premiers jours. De véritables montages psychologiques se font tout au long de l’enfance et c’est par eux que se construisent les comportements communs, que s’affirme la relative permanence des sociétés » (1957, p 25).

 

            Conclusion

            Les mutations  intervenues dans les pratiques culturelles de la société béninoise depuis ses différents contacts avec le monde extérieur sont incontestables. L’école est rentrée dans les mœurs et est devenue un moyen d’accès au bien-être et au prestige.

                        Cette compréhension de la scolarisation a produit une manière de considérer le  livre. Le livre est vu comme un objet d’ascension sociale et pour ce faire, le béninois développe et entretient un rapport très pragmatique avec cet objet. Il demeure un homme d’écoute, respectueux de sa tradition de l’oralité. Ceci nous fait dire  que si la lecture était, et il l’est, un comportement culturel, comme dans tout comportement ce qui fait agir le béninois, c’est l’intérêt  immédiat qu’il en tire. Un intérêt qui ne l’éloigne pas de  son besoin de reproduire ce qui représente la norme et de réaliser les valeurs largement acceptées, d’égaler les modèles établis comme supérieurs. Les modèles établis comme supérieurs chez nous, demeurent les sages, les vieux, les intellectuels dits communautaires maîtres de la parole, dont les décès sont assimilés à des bibliothèques qui brûlent et qui apparemment ne troublent  personne.

                        Le béninois fait usage du livre mais, est encore loin d’entrer dans la civilisation du livre. Les réalités objectives de son environnement (ce que Abric J.C. appelle forces externes) le contraignent à l’usage du livre, mais son passé, enfoui dans son moi intime (les forces internes) revient en  surface et a souvent eu le dessus. Dans ce double jeu qui se fait entre le Moi public et le Moi intime, le béninois exprime si bien l’idée du changement dans la permanence en matière des pratiques culturelles.

 

Références  bibliographiques

ABRIC    J.C. Psychologie de la communication: méthodes et théories. Paris : Armand Colin/ Masson, 1996. 186p

AGBOTON  A. M. G.  Culture des peuples du Bénin. Paris : Présence africaine Edition, 1997. 192p    .

BALLE  F      Médias et sociétés. Paris : Montchrestien, 1988. 629p

CHAUDENSON  R. 1989 vers une révolution francophone ? Paris : L’Harmattan, 1989, 224p

HUANNOU  A.  Littérature béninoise de langue française : des origines à nos jours. Paris : Karthala et ACCT, 1984. 301p

KAGAN M. C.   Mir Obchénia. Moskva, IPL, 1988. 316p

NEKPO C.  Culture et éducation, tome 1. Porto-Novo: CNPMS, 1997. 135p

NIKOLAEVNA O. L. Africa: opit  koultournih  préabrazovaniè. Moskva : académia naouk, SSSR, 1991. 256p

SVININNIKOV B. M.  Filossofskiè  problémi  massavih  informassionnih processof . Moskva: Izdatilstvo  Ou- D-N, 1990. 125p

UNESCO, L’affirmation de l’identité culturelle et la formation de la conscience nationale dans l’Afrique contemporaine, Paris : PUF, 1981. 236p         

 



[1] Commission internationale d'étude des problèmes de la communication, voix multiples, un seul monde, 1980 p. 03

 

[2] In Littérature noire de langue française, Puf 1976 p, 105.

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