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4 novembre 2011 5 04 /11 /novembre /2011 13:39

 

        CULTURE DE LA PAROLE ‘’VAPOREUSE’’ : décryptage de la qualité du débat social au Bénin.

         GBAGUIDI, Ph, D.  M.A

     

Cette réflexion a été publiée dans une revue scientifique (un public restreint donc) il y a de cela quelques mois. Nous saisissons l’opportunité qu’offre  la visite au Benin du Pape pour la proposer à un plus grand nombre de lecteurs. Et pour cause : ladite visite est placée sous le thème :  « Réconciliation, paix et justice » et on peut s’empêcher de se demander si le préalable à tout ceci n’est le dialogue (se respecter réciproquement et se parler franchement)

 Résumé

La démocratie, étant la participation consciente et volontaire des citoyens à la gestion de la cité, elle exige un dialogue, un échange de visions et d’idées permanents entre les acteurs sociaux.

Le dialogue est une condition sine qua non de la démocratie libérale, et non un élément accessoire. Mais il n’est pas suffisant de partager le même répertoire de codes (langue ou langage) pour dialoguer. Le dialogue a ses caractéristiques et conditions, à la fois subjectives et objectives pour être fertile et productif. L’absence ou le non respect de ces conditions,  produit le sentiment  exprimé au Bénin ces moments-ci : celui de l’exclusion, d’une démocratie exclusive, une démocratie des gagnants, nécessairement démobilisatrice des forces et des initiatives citoyennes.

 

Introduction

            La parole est « créatrice » « génératrice », génitrice » ou encore « fertile » ; Et loin de l’extrait biblique qui dit qu’au commencement était le verbe, on peut retrouver dans le patrimoine béninois des éléments de langages qui ponctuent de la manière la plus solennelle l’importance de la parole, du verbe. Dans les cultures du centre du Bénin, on estime que « la parole est le reflet de l’âme de l’homme ». En d’autres termes, sa personnalité.

            Dans le Saint Coran, serait une pensée qui dit : « lorsque ce que vous voulez dire n’est pas plus beau que le silence, il vaut mieux ne pas le dire » ». La parole, sa puissance fait d’elle un outil redoutable et redouté. Et si le sage dit qu’on apprend 21 ans à écouter et 21 ans à parler. C’est pour mieux évoquer cette délicatesse de la parole.

            La parole, nous la pratiquons beaucoup et si souvent que nous finissons par en perdre l’importance surtout dans les rapports humains. Breton P. affirme par optimisme que «  la parole est ce qui lie aux autres, que nous nous adressons à eux directement ou par le biais d’outils de communication » mais la parole peut aussi devenir ce qui nous sépare des autres ; ce qui crée de tension entre les autres et nous. La parole crée et fait du bien ou du mal, selon l’usage de chacun.

            Le Bénin, pays souvent cité en exemple dans le rang des démocraties rétablies depuis 1990, offre depuis quelques mois un spectacle de chaos ambiant qui interpelle tout observateur des processus sociaux. Trois ans exactement après le changement à la tête de l’état, changement souhaité et voulu par 75% de la population, des crispations, des frustrations sont observées. Et chaque jour qui passe ajoute sa dose de tension sociale.

            Un quotidien de la place, a mis à la « Une » il y a de cela quelques jours, « le Bénin en panne de dialogue ». Mais c’est peu dire. Un journaliste d’une radio privée dans une chronique a dépeint la situation de manière, on ne plus précise. Il écrit  « (…) Préoccupé, je le suis aussi, parce que nous semblons rejeter dans le panier de la banalité la dégradation chaque jour plus plongeante du climat politique. Les politiques, nos politiques, ils parlent tout en refusant de se parler. Ils se toisent sans se regarder. Tous, ils prônent la paix tout en la perturbant chaque jour davantage. Des comportements hautement belligènes sont des prêches dits de paix. (…)  Nous côtoyons la déflagration. Patriarches, vous qui avez tant vu, tant fait et tant dit, emblématiques gisements de savoirs et d’expériences, le peuple brûle de vous sentir (…) »[1]

            Il n’y a ni exagération, ni dramatisation  journalistiques dans ce tableau. Ce constat fait, il faut ensuite s’interroger sur les causes qui produisent les effets observés actuellement. Et c’est bien déjà que, dans le tableau peint, l’homme de médias écrit : « les politiques, nos politiques parlent sans se parler. Ils se toisent sans se regarder ».

Ils ne communiquent pas. Ils ne dialoguent pas. Le diagnostic posé est sans contestation. Et pourtant le même journaliste nous dit qu’il y a « invasions médiatiques ». Il y a aujourd’hui entre les acteurs politiques,  un problème de communication, un problème de prise de parole, et de qualité de la parole. La communication, est loin d’être simplement une stratégie. Elle est au cœur de toute œuvre humaine et de toute la vie sociale. Le Bénin est en panne de dialogue, et pourtant, jamais gouvernants n’a autant communiqué ! Aspirants à gouverner aussi. Et si on se permettait de dire simplement que les acteurs politiques en présence sur l’échiquier national se disent des « paroles moins belles que le silence ? »

            L’objet de notre réflexion est de faire une lecture du ‘’ dialogue’’ de la classe politique  béninoise. Un exercice d’où ont disparu les normes élémentaires du dialogue, dont la confiance réciproque, le respect de l’interlocuteur, la prise en compte de son projet…etc., et où règnent, l’interprétation sélective, les attitudes d’évaluation et d’interprétation, les préjugés et les préconçus. En d’autres termes, nous interrogeons le concept de dialogue, pour mieux l’explorer.

            I _ Etat des lieux : constat de la dégradation du dialogue

            Le Bénin, pays souvent cité en exemple dans le rang des démocraties rétablies depuis 1990, offre depuis quelques mois un spectacle de chaos ambiant qui interpelle tout observateur des processus sociaux. Trois ans exactement après le changement à la tête de l’état, changement souhaité et voulu par 75% de la population, des crispations, des frustrations sont observées. Et chaque jour qui passe ajoute sa dose de tension sociale. Ici et là des dénonciations, des injures, des accusations et surtout des supputations de tout genre. Une situation, qui d’après certains observateurs de la vie béninoise depuis les indépendances, n’aurait été jamais aussi déliquescente et préoccupante. Il en a fallu beaucoup moins que cela dans l’histoire du pays, pour que l’armée  intervienne afin de mettre fin à la « pagaille et indiscipline civiles », racontent certains témoins de l’histoire tumultueuse du Bénin. Vingt ans après la Conférence nationale des forces vives le système démocratique pose problème, montre ses faiblesses. Peut être essoufflé simplement !

            a) les observations : Un quotidien de la place, a mis à la « Une »[2] il y a de cela quelques jours, « le Bénin en panne de dialogue ». On ne compte plus le nombre d’appels à la paix lancé par les partis politiques, les religieux de toutes confessions, les Associations de la Société civile, des personnalités indépendantes, des intellectuels. Mais c’est peu dire. Un journaliste d’une radio privée de la place, dans une chronique a dépeint la situation de manière, on ne plus précise « (…) pétitions, invasions médiatiques, lettres ouvertes ; les camps en présence rivalisent de machinations. Ça grogne de toute part, la psychose du chaos est massive, ambiante, enivrante. Elle envahit les visages, déborde les cœurs. Elle ne relève plus du diagnostic de l’expert. Un confrère à peine maître de ses émotions tente de m’endormir en jurant presque, qu’ils jouent à se faire peur. Ce jeu-là aux  mains de celui que le président Zinsou appelle « un imbécile qui fait un geste malheureux et ça flambe. Oui, Pépé président tire ses appréhensions du tableau en présence_ lui dont la témérité de toujours, visiblement faiblit et commence à céder. S’il n’est pessimiste, il est préoccupé comme nombre de fils de ce pays. Préoccupé, je le suis aussi, parce que semblons rejeter dans le panier de la banalité la dégradation chaque jour plus plongeante du climat politique. Les politiques, nos politiques, ils parlent tout en refusant de se parler. Ils se toisent sans se regarder. Tous ils prônent la paix tout en la perturbant chaque jour davantage. Des comportements hautement belligènes sont des prêches dits de paix.

            (…) Point de leurre, nous côtoyons la déflagration. Médiateur de la République, double haut commissaire à la gouvernance concertée  et à la solidarité nationale, sous vos yeux et particulièrement, ces dernières semaines la paix est narguée à l’envie. Patriarches, vous qui avez tant vu, tant fait et tant dit, emblématiques gisements de savoirs et d’expériences, le peuple brûle de vous sentir (…) »[3]

            Ce tableau qui se passe de tout commentaire, est disons-le ainsi, le vécu actuel. Il faut reconnaître qu’il y a eu des signes avant coureurs qui démontrent l’installation progressive de la dégradation de la situation politique et sociale.

            En avril 2008, un regroupement de partis politiques jadis antagonistes a rendu publique une déclaration sans équivoque sur la situation du Bénin au triple plan politique, économique et social. A ce propos, il ne serait pas vain de dire que dans ce regroupement se trouvent tous les partis politiques ayant soutenu au second tour le candidat qu’était le président en poste actuellement. Et mieux, à ce groupe s’est joint le candidat perdant des dernières élections présidentielles. De cette déclaration, nous retenons quelques extraits pour la compréhension de la suite de notre travail. Ainsi, lisons-nous :

« Depuis quelques mois, notre pays est installé dans une situation de tension sociale et politique.

            Au plan social, cette tension s’exprime par les multiples crises ouvertes entre le Gouvernement et les différents corps constitués de la Nation. Elle est aggravée ces dernières semaines par le doute qui s’est subitement emparé des populations lasses de promesses sans suite et d’actions sans incidences significatives sur leurs conditions de vie et de travail. A cette crise de confiance, s’est ajoutée une série de discours et comportements tendant à fragiliser l’édifice démocratique (souligné par nous) que le peuple béninois s’est employé dix huit (18) ans durant à construire.

            Au plan politique, les égoïsmes politiques, la recherche d’intérêts particuliers au détriment de l’intérêt de la Nation et le développement des extrémismes au mépris du consensus sont à la base de la crispation des relations entre les forces et acteurs politiques de notre pays. (…)

Le pluralisme qui a toujours caractérisé l’animation de la vie politique et citoyenne dans notre pays est menacé d’une part, par le populisme dont le développement tend à infantiliser et à instrumentaliser les laborieuses populations de nos villes et de nos campagnes. Le pluralisme politique est mis à mal d’autre part, par l’intolérance politique qui se manifeste de plus en plus dans le pays et la tendance à la monopolisation de la vie politique qui se traduit à la fois par la volonté affichée d’élimination de l’essentiel des partis politiques et par l’acharnement contre certains acteurs de la vie publique. Il est également par l’insolence de préfets qui utilisent généreusement la télévision nationale pour proférer des menaces aux responsables politiques.

            Toutes ces déviances, assorties de manœuvres politiciennes anticonstitutionnelles, constituent des préludes à un retour à pas de charge à la pensée unique. De ce point de vue, elles sont à dénoncer et à bannir de notre système politique.

Longtemps admirée pour sa contribution au renforcement de la démocratie et classée dans le peloton de tête mondial de la presse libre, la presse béninoise peine aujourd’hui à préserver ses acquis. Les ingérences et les injonctions répétées du pouvoir dans ce secteur se caractérisent par la restauration de la censure sur les médias de service public, et par la mise au pas de la plupart des organes privés à l’aide de contrats de non publication d’informations critiques. La monopolisation de la presse par le pouvoir actuel est une dérive inacceptable qui ne laisse aucun espace d’expression libre à d’autres forces politiques et courants d’opinions. Plus grave encore, est le recours à une panoplie de mesures de représailles pour museler la presse : acharnement fiscal, censure, interdiction d’antenne, interdiction de rédaction ou de couverture, interpellations, intimidations et autres menaces. »[4]

Une autre déclaration d’un responsable syndical aux sortir d’une séance de travail avec le chef de l’état peut ici être citée comme une autre étape dans la rupture du dialogue. A. R laisse entendre sur les antennes des radios ce qui suit :

« On s’attendait à une séance de négociation appuyée par le rapport qui a sanctionné les travaux de la commission paritaire que le chef de l’état lui-même a mise en place au début de l’année scolaire en cours pour réfléchir sur les revendications essentielles du Front d’action des syndicats des trois ordres de l’enseignement. Malheureusement, le chef de l’état s’est préparé avec ses collaborateurs pour nous faire subir ce qu’on pourrait appeler une douche écossaise. Il est fâché du fait que nous n’ayons pas suspendu notre grève (...) Malheureusement, le chef de l’état nous a dit : « eh bon ! Nous pouvons aller à la fermeture des écoles, qu’il prie pour nous pour que dans dix mois, en 2011, lorsque les élections auront lieu, que nous puissions avoir un président capable de nous écouter et de résoudre tous nos problèmes. Que lui, n’est candidat à rien ! »[5]

Non moins évocateur, est ce qu’un responsable des cultes endogènes laisse entendre dans une interview sur une radio à la suite d’une affaire d’aide aux cultes vodou

« On prend notre argent. On fait n’importe quoi. On vient, on nous dérange. On dit va devant, va derrière. On dit l’autre parti adverse là, on va contre lui. On les suit. On l’insulte et après si ce chef de parti finit de négocier avec l’autre parti, il vient nous dire maintenant nous allons travailler avec ce parti là. Il y a déjà entente. (…) S’ils vont devant on va aller devant. S’ils vont derrière, on va faire marche arrière. S’ils demandent à gauche, on va à gauche. (…)  C’est pourquoi j’ai dit que la tradition va  déposer une plainte contre les partis politiques, je sais que la justice est pour eux mais au moins on va poser l’acte_ déposer une plainte contre la classe politique. »[6]

            on peut continuer encore longtemps de faire l’inventaire des déclarations entendues, tant de la mouvance présidentielle, que de l’opposition, qui marquent la rupture, mais surtout le fossé qui se creuse au fil des jours entre acteurs de la vie publique béninoise. Dans cette rubrique une déclaration, venant d’une députée face à ses collègues dans l’hémicycle en pleine session doit intéresser : cette élue du peuple fait des déclarations relayées par tous les mass médias. Un quotidien de la place fait de même, sous ce titre :

Ce que R. S. a vraiment dit

« … J’entends dire qu’on va destituer Quenum et mettre à la place de Quenum, quelqu’un du nord (…) Quenum peut déconner peut-être. Mais si vous mettez quelqu’un du nord, si vous destituez Quenum et mettez quelqu’un du Nord et bien, je crois que nous allons  avoir une bagarre. (…) La minorité s’arroge tout le pouvoir et ne laisse rien à la majorité. On va retourner un jour dans l’affrontement. »[7]

Approché par les hommes de médias, un homme politique ayant occupé de grandes fonctions politiques au plan national rétorque, ceci :

« Le président aussi a tenu des propos régionalistes » dixit B. A.

(…) Il estime que si aujourd’hui il y a des réactions allant dans ce sens, c’est parce que le premier magistrat de ce pays même a eu à enfourcher la même trompette. Il rappelle que lors des élections législatives de 2007, il n’a manqué de traiter de tous les noms ceux des ressortissants du nord qui étaient candidats sur les mêmes listes que des béninois du Sud. Quand bien même il a pris le soin d’éloigner les journalistes, des oreilles indiscrètes auraient tout entendu. Pour lui, le camp présidentiel ne saurait démentir le fait. »[8]

Les propos d’une femme, politique ayant aussi occupé de grandes fonctions au Bénin avant 2006 ne condamne pas les propos de la députée : sous le titre « Propos jugés incendiaires tenus à l’Assemblée Nationale : C. Z. approuve R. S. »

« Quand vous êtes assis sous un arbre et que vous ne vous manifestez pas, ce sont les oiseaux qui défèquent sur vous. Maman R. S. n’a fait que dire ce que beaucoup, sinon tout le monde pense tout bas ». Pour la néo centriste, les déclarations de l’honorable R. S. se justifient par le comportement des  actuels dirigeants qui feraient la promotion exclusive des femmes d’une certaine partie du Bénin. »[9]

Dans ce répertoire déjà bien évocateur, les dernières déclarations de l’élue qui récidive sont :

« (…)  Dans ma maison, assis devant moi, devant mon mari, (...) Il a dit : « je vais vous cogner » il a dit ça quatre fois : «  les députés vous, je vais vous cogner ». Il a terminé en disant «  je vais mettre le pays à feu et à sang ». Il l’a dit, je le jure sur Dieu. Il n’était pas seul, il y avait le ministre d’Etat K. qui était là. Il y avait le ministre de l’économie et des finances qui était là. Il avait mon mari qui était là. Il y avait mon fils L. qui était là. Le ministre G. était là aussi… »[10]

 

On pourrait ajouter à ces morceaux choisis de déclarations attribuées surtout à l’opposition, quelques phrases considérées comme des piques envoyées à l’endroit de l’opposition par la mouvance. On se souviendra de phrases : « la vieille classe politique fatiguée », « tout le monde peut parler, mais pas eux. On sait de quoi ils ont été capables », « ils importent des armes et des mercenaires pour former des milices », « ils parlent, eux, nous,  nous travaillons », Et on en oublie. Tellement la vie politique est pleine de paroles ‘’ vipérines’’, qu’on ne peut qu’aboutir à la situation actuelle que vit le Bénin. Et pourtant, communiquer repose sur des principes et de règles.

On remarquera de ces observations empiriques, qu’il y a rupture de communication entre la classe politique. Et pour cause. Crise de confiance, non acceptation réciproque, attitude d’évaluation et préjugés ponctuent toutes les relations et interactions des acteurs politiques. Et pourtant le Bénin ayant fait l’option de la démocratie, et cité en exemple a fait implicitement le choix de la gouvernance concertée donc du dialogue permanent entre acteurs sociaux.

B_ Qu’est ce que dialoguer ?

« Dans une approche systémique,  le dialogue est une interaction  interindividuelle, une relation interpersonnelle. Cette position de départ, permet de déterminer trois éléments entrant dans la structure du dialogue en tant que système. Les acteurs ou sujets en interaction, en rapport de dialogue, qu’il s’agisse d’individus, de  groupes d’individus (...), d’institutions sociales ou de cultures qui se reconnaissent égaux et se respectent. Ensuite, les moyens mis en jeu, le canal (langue, mécanisme et manière d’action) qui sert dans l’interaction. Enfin, nous trouvons dans cette structure l’environnement ou milieu socioculturel. Ces trois éléments, à savoir: sujets, moyens, et milieu, se trouvant dans une relation dialectique, c’est – à - dire,  dans une relation d’influence réciproque, permanente et dynamique, le milieu social déterminant le contenu du dialogue, les moyens à utiliser par les sujets. Ces derniers, à leur tour influençant forcément le milieu socioculturel, par le résultat de leurs actions combinées. Comprendre donc le dialogue, c’est s’immerger dans ce système de relations simultanées, complexes, multiples et multiformes ». C’est une raison suffisante pour nous interroger sur le contexte qui est centre de notre réflexion.

 

II_  Le contexte béninois : diversité et fragilité

a) .Démographie. Nous savons que le territoire et la population constituent les éléments matériels de l’Etat. Mais pour le politologue, la population a plus qu’une valeur d’effectivité. Elle a des caractéristiques socioculturelles qui sont dans un rapport direct avec les formes  d’organisations sociales et politiques.

            Ainsi, on pourrait relever que la population du Bénin est constituées par des regroupements sociaux disparates et hétérogènes imputables à des facteurs historiques connus et ou naturels. Ex : 52 parlers. Ces disparités et hétérogénéités, sont encore, cinquante années après les indépendances, aujourd’hui accentuées par  des clivages – comme par exemple, les clivages Nord/ Sud, ville / campagne, clivages économiques : Secteur formel / informel. Tradition / modernité.

           Nous sommes d’accord pour reconnaître que tous ces clivages ne sont pas des facteurs propices à l’édification de la nation, comprise telle qu’elle a été définie par les spécialistes des sciences politiques. Si la langue est le support de la culture,  un outil privilégié de communication, son rôle dans la formation de la conscience nationale est donc immense. Or, nous avons déjà dit que le Bénin, comporte 52 parlers (langues). On peut en déduire de manière empirique, que nous avons au Bénin 52 modèles de cultures. Donc 52 identités culturelles. C’est peut-être une richesse, mais mal exploitée elle peut se transformer en faiblesse, exactement comme les richesses du sous-sol zaïrois sont devenues source de malheur pour cet Etat.

            b). Caractéristiques  socioculturelles

            Lorsqu’on s’appuie sur la typologie proposée par Mead M. qui distingue les cultures de type postfiguratif, de type cofiguratif et de type préfiguratif, on n’a point du mal à affirmer que dans leur grande majorité les sociétés africaines sont largement encore de type postfiguratif ou de culture postfigurative, dont la continuité dépend de ce qu’on attend de l’ancien", ou de type cofiguratif où " les aînés gardent une situation dominante en ce sens qu’il fixent le style et définissent les limites à l’intérieur desquelles le configuration peut s’exprimer dans le comportement des jeunes. C’est la sanction des aînés qui comptent et non celle des pairs. "*

             Tout ce qui précède nous permet de dire qu’en dépit des différentes influences subies par l’Afrique et des mutations qui sont encore, nos sociétés demeurent bien traditionnelles, dans le sens où  les liens de  parenté (la famille) et la religion jouent encore un grand rôle dans le système d’organisation sociale et leur donnent leur cohésion.

              La parenté a pour effet d’établir une structure hiérarchique rigide, favorisant la formation de cercles concentriques dans la société. Ainsi la parenté constituant le cadre de référence de base de toutes activités sociales, se distingue à 3 niveaux :

            Au niveau inférieur : la famille – le lien familial s’établit en ligne maternelle et paternelle

Niveau moyen : Le clan qui regroupe tous les descendants d’un ancêtre lointain réel ou mythique et ayant conscience d’une commune filiation.

             Niveau supérieur se trouve la tribu – formée par la réunion du clan ou leur éclatement. La tribu est déjà une forme d’organisation politique. Elle fixe les règles, donne naissance à un groupe de production et de consommation. Elle donne et conditionne l’exercice de l’autorité et de la responsabilité..

Au niveau inférieur, le chef de famille au sein de la collectivité qu’il dirige a plénitude de juridiction. Tous les litiges relèvent de son autorité. A l’égard des membres d’une autre collectivité, seul le chef du groupe apparaît. L’individu presque confondu au groupe ce qui explique le principe de responsabilité collective. Ainsi le chef de collectivité apparaît comme la pierre angulaire de l’organisation sociale.

 

La religion : Les religions africaines soutiennent l’existence des âmes et des esprits qui animent la nature. Ces religions qui intègrent toute chose et tout être dans un système complexe, où une place est attribuée à chacun dans ledit système, et où le comportement de chacun peut avoir une résonance dans l’univers, il va sans dire que les règles de la coutume sont indispensables à l’équilibre individuel et collectif… Ainsi l’ordre religieux tient et renforce l’ordre social. Il renforce l’esprit communautaire avec cette particularité que la communauté comprend et les vivants et les morts, ces derniers étant comme les véritables chefs, gardiens de la coutume, arbitres des jeux des vivants et garant du respect de la tradition. A côté de religions africaines, il y a aussi une place importante  pour l’islam et le christianisme. Des religions qui dans le contexte africain peuvent épouser les couleurs du milieu.

            Au vu de tout ce qui précède, on est tenté de dire que l’identité culturelle si tant revendiquée apparaît surtout éclatée, plus ethnique, sinon clanique que nationale. Ce constat est déjà à lui seul un grand obstacle à tout projet de construction sociale et politique  nationale. Même si nous sommes d’avis que l’identité culturelle peut-être affirmée tant au niveau du groupe ethnique que de l’Etat, de la région et qu’au niveau du continent tout entier, son instrumentalisation  malicieuse et opportuniste a mis, met et mettra à mal le projet d’unité nationale.

            Il faut accepter avec ce chercheur béninois, qui dit « avouons le Bénin qui est composé de 52 entités linguistiques ne forme pas encore une entité homogène. Il est juste de parler des ‘’Bénins’’ et non du Bénin, comme le dirait l’autre, car ces multiples peuples ne se sont jamais prononcés pour exprimer leur ferme volonté de vivre ensemble. De ce point de vue, il est difficile de parler de la nation béninoise, car l’élément psychologique de fond n’y est pas encore : la volonté de former une communauté solidaire et unie »[11]

            Dans un contexte aussi hétérogène, et de surcroit fragile, nous pensons et partageons avec GERSTLE J. que «  En communication  politique… Communiquer c’est mettre en commun, partager, et la cité est le lieu par excellence de la réunion des hommes. « La cité comme unité politique est rendue possible par l’usage de la parole et son pouvoir de pacification des relations sociales »[12] il y a donc autre chose dans la communication politique, que la ruse et ou l’habileté. C’est le discours, la parole émise, adressée à autrui partageant le même espace que soi, différent, peut-être de soi. Analyser le discours, le contenu du message par rapport à chaque contexte, s’avère donc primordial.  Car le sens du discours se construit toujours par rapport à un contexte. Et cet aspect ne peut être occulté. Nous  rappelons ici tout le développement fait sur la société béninoise, qui demeure essentiellement une société fragile et très fissurée par d’innombrables clivages.            

Le discours tient donc une place centrale dans la cité, dans la politique, et il n’y a rien de hasardeux si Aristote dans sa définition de l’homme, le désigne « animal social doué de capacité langagière » le langage - le logos est l’être même de l’homme, pourrait dire le philosophe ! Oui, mais ce même langage, lorsqu’il se donne dans le discours de l’opinion, engendre la guerre entre les hommes, comme le souligne AKOUN A. (1994). Toutefois, « du fait même qu’ils parlent, les hommes manifestent qu’ils désirent  le langage qui puisse les mettre d’accord et les arracher à la violence des certitudes sourdes et des passions. Ce langage, dans lequel tout homme ne peut que se reconnaître parce qu’il y reconnaît son propre discours en tant qu’universel, est celui de la raison, c'est-à-dire celui qui n’engendre la conviction de chacun et de tous que par l’argumentation»[13]. Nous venons donc ainsi d’exposer un principe, fondamental de la communication politique dans un espace démocratique. La communication est un instrument de création d’un espace de convivialité pour les citoyens par principe et par nature, différents.

III _  De la qualité de la communication sociale au Bénin.

Pour préserver l’état menacé de chaos, et favoriser l’émergence progressive de la nation tant déclarée, la chronique citée plus haut, se termine par une interpellation à l’endroit de ceux qui pourraient faire un bon usage des vertus de la parole «. Point de leurre, nous côtoyons la déflagration. Médiateur de la République, double haut commissaire à la gouvernance concertée  et à la solidarité nationale, sous vos yeux et particulièrement ces dernières semaines la paix est narguée à l’envie. Patriarches, vous qui avez tant vu, tant fait et tant dit, emblématiques gisements de savoirs et d’expériences, le peuple brûle de vous sentir (…) »

 

le premier et incontournable changement à opérer est le changement du paradigme « communication =  habileté à ruser ». De cette condition découlement la qualité du dialogue, qui elle même reste tributaire du niveau du dialogue voulu avec son interlocuteur.

             _ Typologie du dialogue

La typologie du dialogue proposée par Kagan M. C. repose essentiellement sur les travaux de SAGATOVSKI et distingue quatre niveaux de dialogue. Par niveau, il faut entendre « le niveau  d’éléments à valeur éthique ».

Le premier niveau: « niveau de manipulation » ou « niveau a-éthique ». A ce niveau, un sujet en interaction avec un autre considère, son interlocuteur comme un moyen de réalisation de son projet, ou un obstacle. Comme un objet d’un type particulier, rejetable  au rang « d’outil parlant ».

Le deuxième  niveau: « niveau du jeu réflexif », est un schéma de dialogue, où un sujet dans la réalisation de son « projet de dialogue », prend en compte le contre-projet de son interlocuteur,  mais ne lui trouve aucune valeur intrinsèque, aucun crédit, et travaille pour son échec.

Le troisième niveau: «  niveau légal » ou « niveau contractuel ». Les sujets en interaction reconnaissent réciproquement le projet de chacun, se donnent des modalités et des règles de conduite à respecter dans cette interaction, où il n’y point de gagnant ou de perdant. Ici, la justice et l’équité sont des valeurs fondamentales.

Le quatrième niveau: « niveau éthique ou moral ». C’est le niveau où se réalise la plénitude de l’interaction humaine. C’est le niveau supérieur dans les relations  humaines de type sujet / sujet, une relation entre partenaires égaux, libres, qui s’acceptent, se respectent, et s’engagent volontairement dans un projet commun.

Il n’est pas difficile de s’apercevoir que le niveau du dialogue entre les acteurs politiques au Bénin se trouve au premier niveau. Chaque acteur prenant l’autre pour un objet de type particulier et non un sujet ; un moyen de réalisation de son projet à soi. D’où tous les blocages de la communication et les tensions sociales sans cesse croissantes 

Conclusion

            Nous faisons nôtre cette pensée de BRETON F. pour finir notre réflexion « Il serait bien sûr trop facile et trop réducteur d’affirmer que le déploiement de la parole représente une solution universelle applicable à la plupart des problèmes que le monde actuel éprouve. Ils n’en reste pas moins que bien des difficultés que nous éprouvons sont liés à une absence de parole ou, pire à un usage violent et dominateur de la parole. Or l’un des pouvoirs de la parole est précisément de s’opposer à la parole du pouvoir. La parole est une alternative à la violence du monde, elle bouleverse tout sur son passage, pourvu qu’elle soit libre, authentique et d’abord soucieuse de l’autre. Elle acquiert alors une force inouïe. L’homme, en quelque sorte, serait contenu dans sa parole. Comment dire mieux l’importance et le caractère vital de la parole ? »[14] Raison essentielle pour ne pas la banaliser, la monopoliser, ou la confisquer.

 

 

 

 

 

           

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 



[1] L’auteur de cette chronique, KASSA J. est journaliste à la radio Golf FM de Cotonou, et a diffusé cette chronique  courant septembre 2010.

[2] L’Autre Quotidien du 15 octobre 2010, organe d’information général édité à Cotonou

[3] ibidem,

[4] Déclaration des partis politiques sur la situation nationale en Avril 2008, publiée dans la Nouvelle Tribune

[5] AFFAGNON R. sur Golf FM dans une édition de 19H30

[6] Dah ALIGBANON sur la radio Océan FM de Cotonou.

[7] .Encadré p. 3 du 8 mars 2010- N° 1842 la Nouvelle Tribune

[8] ibidem,

[9] Sagesse Info N° 052 du 8 mars 2010 p.3 Actualité

 

[10] In l’intégralité des propos tenus par R. S. à l’hémicycle dans La Nouvelle Tribune N° 1962 du 14 septembre 2010

 

[11] BIO BIGOU B L les questions du régionalisme, de la décentralisation et du courage politique,  Cot : 1995 p 13

[12]  GERSTLE j La communication politique. Que sais-je p.4

 

[13] AKOUN A. La communication démocratique et son destin, p.22

[14] BRETON T Eloge de la parole. Paris :    p. 8

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