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23 avril 2012 1 23 /04 /avril /2012 00:12

Une classe moyenne francophone : facteur d'émergence et   d'affirmation de valeurs nouvelles partagées.

                

Peut-on construire l'espace francophone et le dialogue francophone avec des gens qui ignorent tout, de ce dont il s'agit ? En avons-nous le droit moral ? Qu'en serait-il des fameux principes de la démocratie, souvent qualifiés d'universels ? N'est-il pas vrai que le principe démocratique prône, une adhésion et une participation libre et consciente  à la vie de la cité ?

Il nous est souvent arrivé de nous poser la question de savoir pourquoi en Afrique francophone, aucun des pays participant à la francophonie, n'ait eu la sagesse d'appeler le peuple à témoin, par le biais d'un référendum ? Une telle procédure d'adhésion aurait été démocratique ! Mais la réponse à cette interrogation nous vient aussi facilement. A quoi  peut  bien  servir une consultation populaire sur une question dont le peuple ignore tout, et qui plus, est génératrice de complexes? De la même manière que nous sommes en train de construire en Afrique, des démocraties d’ analphabètes, incapables de lire les inscriptions que porte un bulletin de vote, de maîtriser les notions élémentaires du système métrique, nous voulons  construire la francophonie des "francophonoïdes" et " des franco -aphones".

" Ce sont les idées des autres qui font qu'on ne peut pas considérer la personne âgée comme un imbécile", dit un proverbe béninois. La personne âgée a eu le temps et le privilège d'avoir vu et d'avoir entendu les expériences d'autrui. Et rien ne l'empêche de s'en inspirer pour construire sa propre vie. Et c'est assurément la même idée ou plutôt le même conseil que donne le grand sage de l'antiquité quand il dit :

«  Les uns sont députés pour assister aux fêtes religieuses. Les autres sont envoyés par les gardiens des lois pour étudier les pratiques des cités étrangères : ils  visiteront terres et mers, entreront en contact avec les hommes les plus divins qui s'y rencontrent, prendront le bon partout. Sans ces sortes de voyages d'enquête, nul Etat ne demeure accompli. Les prescriptions des lois ne font que consacrer  une tradition : tout nomothète a couru le monde avant de fonder ou de réformer sa ville »66

Ce que nous avons vu sous d'autres cieux, entendu à d'autres sources, ce que nous avons compris en "voyageant" entre les lignes de l'histoire de l'humanité, nous laisse  la profonde conviction que la construction  d'une société, quelle qu'elle soit, passe avant tout, par l'éducation et l'instruction des hommes, la formation des compétences nécessaires à la vie et au développement de la société rêvée. Il s'agira donc  de donner à l'école dans la Francophonie, toute sa place et toute sa valeur, et ce, tant au Nord qu'au Sud.

Permettez-nous un détour avant de poursuivre nos propos. Deux petites histoires vécues, il y a de cela quelques années.

La première ayant pour cadre Moscou.

" Moscou, mois de janvier. Il est dix heures. Le thermomètre indiquait vingt-deux degrés C° en dessous de zéro. A la station de bus, deux jeunes filles, deux européennes. Le visage rouge de froid, elles  avaient du mal à se tenir sur place. L'hiver russe ne pardonne aucune légèreté dans l'habillement. Visiblement, elles ne sont pas des autochtones. A peine deux minutes sont passées depuis notre arrivée à la station... Et soudain une voix tremblante :

*  Hello Man

Ma réplique fut prompte :

Hello, ladies ! How do you do?

Silence plat. Les deux belles créatures, aux visages labourés par l'hiver, se jetèrent des regards furtifs, et pouffèrent de rire, mais se retinrent assez vite. Confuses! Alors, nous enchaînâmes coup sur coup trois questions: rouski ? Deutsh ?  Elles écarquillèrent de plus belle les yeux, et nous nous empressâmes de dire : français ? Elles répliquèrent presque ensemble, oui ! Vous parlez français? Notre réponse fut affirmative. Puis étonnées, elles enchaînèrent : vous venez de la France? Vous êtes français ? Non, avions-nous répondu. Alors où l'avez vous appris? Acculé de questions, nous leur avions laissé entendre que nous n’étions pas français, mais francophone. A notre grande surprise la question qui suivit fut celle-ci: c'est où, ce pays?...

Moralité : ces deux amies (elles ont devenues par la suite mes amies) ne savaient rien, ni de la francophonie, ni des liens d’histoire qui unissent nos deux pays. Alors comment partager un rêve pour l’avenir ensemble dans ces conditions ?

La seconde histoire se passait en 'Alsace, à Strasbourg,

Pour nous faire plaisir lors de notre tout premier séjour en France, notre frère alors étudiant en médecine  nous offrit un dîner avec quelques-uns de ses amis. Entre arôme de jus, saveur de gourmandises alsaciennes et cliquetis de fourchettes, nous échangions sur tous les sujets possibles (économie, politique, culture, sport, monde, France, Afrique). Et, soudain, un ami à notre frère se tourna vers nous et laissa entendre ce qui suit: mais les Russes ont une pédagogie formidable! En deux ans de journalisme vous connaissez tout ça ? Et tout ceci dans un français classique, qu'on ne retrouve que chez les Français d'un certain âge! Flatté et surpris à la fois, nous nous sommes empressé de lui dire que nos études en Russie se passaient en langue russe et non en français. Et cet ami de clamer que notre niveau de connaissance de la langue  et de la vie politique françaises était largement suffisant pour travailler dans une rédaction respectable française.  Il était fort heureux de pouvoir discuter de tout avec nous. Sincèrement, nous avions  été étonné  aussi de constater que nous pouvions discuter en partenaire égal avec ces amis français que nous venions de rencontrer pour la première fois. Comme dirait l'autre, on avait un minimum de répertoire commun, ce qui avait facilité la communication.

La leçon à tirer de cette histoire est double. La première est que la proximité linguistique entre nos interlocuteurs et nous a été un élément d’ouverture. Nous partagions quelque chose en commun : le français.

La deuxième leçon est un peu moins encourageante. Alors que nous étions en mesure de discuter de presque tous les sujets avec nos amis, ils n’avaient, en ce qui les concerne, que de très vagues idées sur le Bénin,  l’Afrique (l’Afrique est perçue comme un pays et non un continent) et  la Francophonie. Malgré toute notre modestie, nous avions eu l’impression d’être dans le rôle du bon colonisé qui devait démontrer à son maître ses aptitudes afin de se faire accepter comme personne humaine respectable. En terme peut-être savant nous dirions que l’asymétrie dans la volonté de connaissance réciproque était flagrante.

Tout ce qui précède est selon nous, le témoignage de la faillite des institutions scolaires et universitaires de la francophonie. Et s’il y a un certain manque d’intérêt des français et peut-être d’autres peuples aussi pour la francophonie, c’est parce que certains ont cru que la francophonie pouvait être une génération spontanée, qu’elle allait de soi.  C'est une erreur. Et pour corriger cette insuffisance il faudra mettre l’accent sur l’importance de l’école et de l’éducation dans le processus de construction de la francophonie en tant que défi d’une civilisation nouvelle.

 

  8.2 _Une Ecole nouvelle pour la francophonie.

 

Un homme politique français faisait remarquer il y a bientôt deux décennies ce qui suit : 

 

« ‘ Les Français ressentent moins que les peuples de certains de vos pays l’urgence de relever en commun les défis qui nous assaillent ; la prise de conscience des enjeux de la francophonie n’est pas en France au même niveau que dans d’autres pays de notre communauté, alors que l’importance des problèmes est la même pour tous ; il y a trop de tranquillité chez nous, on n’y mesure pas suffisamment les menaces qui pèsent sur notre destin ; scepticisme, indifférence, ou absence d’information ; je ne sais, mais l’avenir de la francophonie dépend autant de notre action que de l’adhésion de l’opinion publique et plus particulièrement des jeunes. La communauté francophone pour être vivante suppose que les peuples ressentent comme essentielle cette nouvelle fraternité, cette nouvelle solidarité. La francophonie ne doit pas être seulement l’affaire des gouvernements et des administrations. Elle ne trouvera sa véritable dimension que si chacun, dans nos pays respectifs, se l’approprie, si elle devient un état d’esprit partagé par les peuples francophones. »67

 

Comment peut-il en être autrement ? Si l’Ecole française n’éduque pas à la francophonie et si les mass-médias ne relaient pas le message, où les citoyens iront-ils s’initier à la Francophonie ?

Le rôle que la l’école est appelée à jouer au sein de la francophonie les années à venir peut s’étudier sous deux aspects.

 

Sous son premier aspect, nous pourrions parler de la démocratisation de l’éducation formelle dans l’espace francophone. Une démocratisation qui passerait par  une éducation minimum obligatoire pour les citoyens de l’espace francophone. Ce niveau minimum obligatoire pourrait être de « 10 classes » c’est-à-dire, le  niveau  BEPC du Cours Secondaire, encore appelé Enseignement moyen général. Cet aspect du rôle de l’école dans l’espace francophone est largement réalisé déjà dans les pays dits du Nord (France, Canada, Belgique etc.)

 

Cette tâche qu’on pourrait qualifier de minimum, reste encore un fardeau, dont les Etats du Sud ne parviennent point à se débarrasser. L’éducation généralisée et obligatoire reste une déclaration d’intention constitutionnalisée, agitée par moment, surtout à la veille des consultations électorales. De très bonnes intentions. Mais qui devraient devenir en principe, des critères de convergences, afin que chaque effort soit reconnu et encouragé.

 

Il est vrai que nous savons tous, l’ampleur des actions à mener au Sud. Il est aussi vrai que nous n’ignorons point les situations socio-économiques que vivent les pays du Sud. Alors, c’est le moment de dire qu’il faudra faire des sacrifices de chaque côte. On ne peut, et on ne saurait construire le dialogue francophone avec des franco-aphones. Comme dirait un proverbe de chez nous « On ne montre l’or qu’a celui qui peut le reconnaître. Les Etats du Sud doivent faire des efforts visibles et soutenus en matière  de scolarisation de leurs citoyens. . Mais dans cette œuvre, il va falloir innover, afin de trouver les moyens nécessaires et les méthodes nouvelles de mise en œuvre d’une vision. Il faudra des formateurs, une pédagogie nouvelle, des infrastructures, des outils pédagogiques.

Le Second aspect qui devrait concourir à l’émergence d’une classe moyenne comme nous l’évoquions, est le partage du rêve francophone, du désir de vie partagée, de la conscience du destin commun. Ceci ne sera possible que grâce à l’école " Nouvelle ".

Nous appelons Ecole Nouvelle celle-là qui trouverait une place pour des matières nouvelles spécifiques, comme l’histoire de la francophonie, la géographie,  l’économie de la francophonie etc.  Nous voulons dire une Ecole qui ferait une place véritable à des  Etudes  que nous appelons Etudes francophones exactement comme il existe de nos jours des Ecoles d’études européennes, américaines, asiatiques, et africaines. Logiquement ceci voudrait dire qu’il faudrait un paquet d’enseignements spécifiques à dispenser très tôt dans les bases classes et qui devraient préparer le terrain, à ce que nous avons   osé appeler « Etudes francophones », qui seraient de la compétence des  Universités, instituts et autres écoles Supérieures. Ceci suppose, la révision des programmes tant au Nord, qu’au Sud. Il y aurait des remous, des grincements. Certes. Mais c’est l’une des  conditions nécessaires à la réalisation  du projet de partage de rêve, et d’émergence de citoyens francophones décomplexés, enracinés dans leurs différentes cultures et ouverts à d’autres cultures.

Cet aspect du rôle de l’école ne sera pas moins difficile que le premier. Mais on devra y faire face en toute responsabilité.

 

       Extrait de : FRANCOPHONIE : le nécessaire dialogue des cultures est-il possible ? Cotonou, 2004



66   FESTUGIERE A.J. Contemplation et vie contemplative selon Platon. Paris, Librairie philosophique, 1950, p. 14

67 TETU M. La francophonie, histoire, problématique et perspectives. Québec : Guérin Littérature, p. 290.

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