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25 mars 2012 7 25 /03 /mars /2012 23:10

 

 

 

CIRCULATION DE L’INFORMATION ET ECHANGES CULTURELS INTRAFRANCOPHONES : Pour une doctrine  francophone de ‘l’asymétrie raisonnée’. 

Introduction.

La circulation internationale de l’information et des produits culturels est encore plus déséquilibrée et asymétrique qu’au paravent, avec un fossé numérique grandissant, qui n’a cessé d’être stigmatisé par d’éminentes personnalités de la société scientifique et politique devant les plus hautes tribunes.

            Dans ce contexte général très défavorable aux pays du Sud, la situation des pays francophones du Sud, est singulière. Une situation qu’on  ne saurait expliquer autrement que par ce que nous appelons le paradoxe francophone, dix sept ans après le premier Sommet des chefs d’Etats et de gouvernements de la Francophonie. Et pour cause !

            En février 1986  à Paris s’est tenu le premier Sommet de la Francophonie. A cette réunion au Sommet, vingt cinq pays africains, tous officiellement non-alignés et partisans actifs  des revendications en matière d’un « Nouvel Ordre International de l’Information et de la Communication », exprimées avec insistance par les pays du Sud qui ne se reconnaissaient pas dans le flux mondial de l’information. En mettant ensemble dans le même creuset, pays du Nord et du Sud  (pays accusés et pays accusateurs) le premier Sommet a posé clairement dès le départ comme objectif à terme ‘le changement de la face du monde’ pour emprunter l’expression de l’ancien président de Madagascar, RATSIRAKA D.

            Cet objectif est expression de la reconnaissance implicite d’un état ou d’un ordre anormal, d’une part, d’autre part,  une invite à la révolution des mentalités sans laquelle on ne saurait opérer des transformations radicales dans cet espace qui se veut culturel et linguistique, et enfin  il est l’expression d’une adhésion à cette Utopie des temps modernes, pensée et conçue par Senghor.

            Deux décennies déjà les projets porteurs d’espoir ont été identifiés. Mais très peu de choses ont changé. Le temps est peut-être arrivé de travailler à ce que nous appelons une doctrine francophone de l’asymétrie raisonnée. 

 

II °Approches de définitions et clarification de concept
a)_ La Francophonie

 TETU M, recense dans son ouvrage «  Francophonie : histoire problématiques et perspectives »  quatre définitions possibles de la francophonie en se fondant sur les travaux de X. Deniau. Il propose:

°Au sens linguistique _" qui parle français"

°Au sens géopolitique _ " l'ensemble des peuples et des hommes, dont la langue  maternelle, officielle, courante ou administrative) est le français"

°Au sens institutionnel _ "l'ensemble des associations et organisations publiques et privées, éventuellement une communauté plus  vaste de concertation et de coopération"

°Au sens spirituel et mystique _ " Le sentiment d'appartenir à une même communauté: cette solidarité naît du partage de valeurs communes aux divers individus et communautés francophones"

On pourrait bien s'en tenir à ces quelques définitions, les unes aussi valables que les autres. Mais, nous voudrions citer deux dernières autres définitions auxquelles nous adhérons personnellement. L'une de Jean-Marc Léger, commissaire général à la francophonie au Québec:

"Première communauté dans l'histoire fondée sur le partage de valeurs spirituelles  et culturelles et sur l'usage d'une même langue (...)"

C'est peut-être la même chose que veut  exprimer L. S. Senghor quand il écrit:

" La francophonie, c'est cet humanisme intégral, qui se tisse autour de la terre: cette symbiose des" énergies dormantes" de tous les continents, de toutes les races qui se réveillent à leur chaleur complémentaire"

 

Autant de définitions de ce que nous nommons sans exagération: le phénomène "francophonie". Apparemment insaisissable, la francophonie n’est point aussi une organisation quelconque. Elle apparaît comme un idéal à construire et c’est ce qui nous fait dire qu’elle constitue une Utopie des temps moderne. Alors que comprenons-nous par ce concept ?

 

b) Clarification du concept d’Utopie

 

Cette clarification s'avère indispensable en raison du contenu prêté par le langage courant à ce concept. Dans une acception péjorative, utopie est assimilée à un projet irréalisable, une chimère, une rêverie. Ce sens du profane n'est point celui de nos propos. Il n'en serait pas question dans notre travail.

Le concept inventé par T. More au début du XVIème siècle, présentait son modèle, à lui du "meilleur gouvernement possible" dans une Angleterre traversée par des crises sociales répétées et le mal-vivre.

Le mot "Utopie", vient du grec "ou" qui signifie non et de "topos", qui signifie lieu, ce qui nous donnerait "Utopie = le lieu qui n'existe pas" (Petit Larousse 2002) Ce sens étymologique diffère du sens philosophique, donné par Petit Larousse  qui dit: société idéale, mais imaginaire, telle que la conçoit et la décrit un auteur donné. Les utopies, écrit le même document : "décrivent le fonctionnement de sociétés parfaites, dont on suppose l'existence en un lieu généralement clos ( une cité, une île ). Fournissant des arguments pour la critique de l'ordre existant, elles peuvent aussi s'offrir comme des modèles pour l'établissement de communautés heureuses. Les auteurs d'utopie sont nombreux: Platon, T Bacon, Campanella, T More, Morelly, Saint-Simon, Fournier, etc.

Larousse tranche la question sur le plan étymologique, d'une manière radicale. Ce qui n'est pas le cas chez Jerzy Szacki, chercheur polonais qui a consacré une grande partie de sa vie a l'étude de la problématique de l'Utopie, surtout dans sa relation avec la tradition, c'est à dire," ce qui est déjà et qui ne veut pas céder la place à ce qui arrive".

 

J. Szaski ne partage pas la même approche en ce qui concerne le préfixe "u". Selon ce dernier, "u" proviendrait du grec "ou" qui signifierait "non", ou encore de "eu",  qui signifierait "bon". Ainsi " Utopie" prendrait une allure polysémique. Ce mot pourrait signifier tantôt " le lieu qui n'existe pas", tantôt "bon lieu". Nous voulons  insinuer ici que comprendre "Utopie" uniquement comme un lieu imaginaire, qui n'existe nulle part, ne nous permet pas de percevoir toute la profondeur de l'œuvre de T. More, qui est un humaniste, qui pense que la société des hommes peut-être une construction humaine. En ce qui nous concerne, nous refusons de croire que T. More, dans cette Angleterre de 1516, en publiant son œuvre " Utopie", a voulu signifier à ses concitoyens que le bonheur n'existait nulle part et qu'ils ne sauraient rêver d’ un avenir meilleur. T. More au contraire,  était convaincu que le bonheur était possible et que c'était le devoir des gouvernants d'organiser la cité afin de l'atteindre. De ce point de vue il n'était pas loin de Platon qui pensait déjà dans l'antiquité que les philosophes devraient être les gouvernants dans la cité, afin d'assurer la bonne gestion de cette dernière, une bonne gestion seule capable de garantir le bonheur de tous. 

Dans sa tentative de compréhension et d'explication de l'utopie selon More, J. Szaski, suggère non pas la reproduction en grandeur nature, sur terre de ce monde de rêve créé par ce dernier, mais plutôt l'exploration de la forme de sa pensée, sa manière de concevoir la "réalité" possible, probable, réalisable. Son esprit et sa volonté de changement. Cet esprit et cette volonté que l'on retrouve, et chez l'auteur du "Contrat social", et chez les révolutionnaires français de 1789, qu'on n'a pas manqué de traiter d'utopistes sur la question cruciale de la transformation de la monarchie française en République. Aujourd'hui, on le sait, la France est une République...C'est dire que le concept d’Utopie (demain peut être mieux, que aujourd'hui), ne peut s'analyser que sur la distance, puisque, ce qui paraît difficile à réaliser dans le présent, peut l'être demain ou, après- demain, comme le fait remarquer le chercheur polonais. Aujourd'hui des milliers d'avions sont au service des hommes, relient tous les continents à tout moment. Les premiers à avoir pensé à un tel appareil capable de voler, ont certainement été traités d'utopistes (rêveurs), mais leur rêve est devenu un projet réalisable et réalisé. Mieux, a permis d'aller encore plus loin, puisque de nos jours, il existe une station spatiale habitable, qui, par deux fois déjà a accueilli des touristes.  Il y a quelques temps, alors que les chemins de fer se développaient en Angleterre, en France, les têtes pensantes continuaient de discuter sur l'opportunité d’utilisation des machines à vapeur, qui risquaient d'exploser. D'autres encore, se posaient la question de savoir si l'organisme humain pouvait supporter sans conséquence la vitesse qu'allaient déployer les locomotives à vapeur. Avec les trains à grande vitesse (TGV), plus personne ne se pose de questions. L'Utopie n'est donc pas une donnée absolue. Elle est relative et cette relativité est proportionnelle au niveau de développement technique, technologique de la société. C'est le moment de partager avec ce grand penseur russe cette opinion:      

"Et les utopies de nos jours se révèlent plus réalisables que jamais. Déjà, devant nous une question urgente, celle de savoir comment empêcher certaines de se réaliser".

Ceci, (l’idéal francophone comme réalisable) est d’autant plus vrai que nous sommes convaincu que si les pays africains n’avaient eu pas cette conviction ils n’auraient pas adhéré massivement à la Francophonie dès ses premières heures. Et cette conviction fut assurément partagée et son expression fut l’adoption de grands projets en matière de développement technologique et de coopération en matière culturelle. Que sont-ils ?

 

III° Renforcement des bases technologiques.

 

La volonté de changer la face du monde, au niveau de la grande famille francophone qui comptait alors trente-huit membres dont vingt-cinq africains, s’était traduite par l’identification d’un  certains nombre de projets, regroupés en cinq réseaux principalement, couvrant trois domaines, à savoir : le développement des technologies modernes de l’information et de la communication, dynamisation de la coopération économique, et la défense du patrimoine commun, le français par son enseignement et sa promotion. Les cinq réseaux d’action étaient ainsi définis :

-     agriculture

-       culture et communication

-       énergie

-       information scientifique et développement technologique

-       industrie de la langue.

Chaque réseau ainsi défini avait à sa tête, un directeur ou un chef si vous voulez.. Mais là n’est pas la question. On n’a pas besoin d’être un expert pour voir que les projets, en tout cas, beaucoup sont restés à l’étape de projets sinon, manquent cruellement de visibilité.

Avons-nous besoin encore de préciser ici que le volet intéressant nos préoccupations est celui du développement de la communication et des échanges culturels. Ce volet aurait pu "faire entrer les écrivains et les peuples dans un espace à connaissance réciproque enrichissant leur propre expérience et la culture mondiale " si vous nous permettez de pasticher André Malraux. Car il faut le dire, la francophonie est, selon Thiry Marcel de l’Académie Royale de Belgique, "un monde où des systèmes divers gravitent en harmonie. " La francophonie est donc une invite au partage, au dialogue, donc à la communication. On comprend donc la place à la fois symbolique et pratique que pouvait occuper le projet de développement de la communication initié au sein de la francophonie en 1986. Nous osons affirmer que ce fut le projet le plus important et le premier défi que la francophonie se devait de relever. Surtout quand on sait que dans ces années les pays  pauvres réclamaient" un nouvel ordre international de l’information et de la communication" et ce, en prenant prétexte du déséquilibre qui existe dans les échanges entre le Nord et le Sud. Déséquilibre qui serait source d’impérialisme culturel et de colonialisme mental.

 

IV° Fondements philosophiques des projets francophones

a) le modernisme

L’idéologie de la francophonie est née dans les années soixante, juste après la vague des indépendances, octroyées aux anciennes colonies françaises. Les idéologues sont Léopold Sédar Senghor et Habib Bourguiba. Tous deux étaient amoureux de la langue française, qui selon Bourguiba,  était un véhicule de la modernité pour son pays, la Tunisie.  Ainsi l’avait-il exprimé  : "…La langue française est un puissant moyen de contestation et de rencontre. Nous avons conscience, non seulement d’avoir enrichi notre culture nationale, mais de l’avoir orienté, de lui avoir conféré une marque de spécificité que rien ne pourra plus effacer. Nous avons aussi conscience d’avoir pu forger une mentalité moderne". On le voit donc, le futur parrain de la francophonie découvre dans la langue française une force émancipatrice, une force génératrice d’un futur nouveau pour son pays ancien protectorat français. D’ailleurs Bourguiba n’a jamais vraiment apprécié la colonisation comme un "phénomène purement négatif". Et c’est justement ce qui amena ce dernier à penser qu’il faille "utiliser l’acquis colonial dans le sens des intérêt des nouveaux Etats", donc à appeler de tous ses vœux en novembre 1965 un Commonwealth à la française. Pour Bourguiba seule une communauté, pourrait donner les énormes moyens nécessaires aux progrès de élites et de l’Etat tunisien.

 

b) L’humanisme de Senghor

Cette approche plus pragmatique de la Tunisie, sera complétée par la dimension spirituelle  prônée par L. S. Senghor qui élabore sa théorie de  la francophonie comme un "humanisme intégral, qui se tisse autour de la terre : cette symbiose des énergies dormantes, de tous les continents, de toutes les races qui se réveillent à leur chaleur complémentaire" (Têtu, 1987 p. 66). En septembre 1966, il dira ceci : «  Si nous avons pris l’initiative de la francophonie, ce n’est pas non plus pour les motifs économiques et financiers. Si nous étions à acheter, il y aurait sans doute plus offrant que la France. (…), c’est qu’avant tout, pour nous, la francophonie est culture » La culture un concept plus fluide, moins saisissable… On est tenté de dire qu’au rationalisme" bourguibien" s’associe le sentimentalisme "senghorien" pour donner un cocktail d’idées qui mènent la francophonie.

Ce qui précède nous permet souligner, comme nous l’avons déjà fait, que la Francophonie dès le départ fut un défi humain. Elle ne se laisse point saisir par le rationnel, en tout cas par le rationnel seul. Et c’est justement pour cette raison que l’approche francophone de solution ou de résolution de certaines questions devrait être aussi originale, vraiment novatrice. La francophonie est supposée être, sinon devenir une terre d’élaboration et d’expérimentation d’une forme nouvelle des relations entre les peuples : l’humanisme intégral. Cette philosophie de l’humanisme nous autorise de penser et de clamer comme certains l’ont fait : nous avons cru et espéré la naissance d’une dynamique nouvelle, nous avons cru à la fin de l’histoire et surtout de la géographie qui divisent les hommes et le monde en colonisés et colons, en zone sud et zone nord… Nous avons cru que le moment état arrivé de changer la face du monde et surtout du tiers-monde qui allait à la dérive. C’était un beau rêve et il n’est pas interdit de rêver puisque rien de grand rêve. On a rêvé comme de président malgache,  qui parlait ainsi devant ses pairs lors du premier sommet : " l’enjeu de notre réunion, c’est peut-être d’essayer de changer la face du monde, car une telle ambition n’est ni démesurée ni inopportune. En tout cas, si notre auguste assemblée s’arme de l’audace nécessaire, d’une volonté politique inébranlable d’aboutir, tous les espoirs sont permis. " J. A n° 1391 du 02-09-87). Ainsi parlait Didier Ratsiraka. Et il ne fut pas seul à exprimer une telle espérance. L’ancien premier ministre canadien Brian Mulroney en ces heures de février 1986 stigmatisait la particularité de l’événement en ces termes : "il y a très peu d’exemples dans l’histoire des relations internationales, de circonstances où autant de chefs d’états et de gouvernements se sont réunis pour créer entre leurs peuples un réseaux d’amitié comme celui que notre rencontre d’aujourd’hui symbolise déjà".

 

V° Les contextes : historique politique et  psychologique

Nous étions en 1986. C’était encore la guerre froide avec tous ses attributs et ses problèmes. Un monde bipolaire, où les deux grandes idéologies dominantes avaient  fait de l’Afrique une arène de luttes idéologiques ouvertes ou insidieuses.

L’URSS, de M Gorbatchev a entrepris sa réforme intérieure avec la doctrine  de la "pérestroïka et de glasnost", pour un monde plus stable et plus sûr. Une doctrine qui pour la première fois annonçait la globalisation des problèmes et des menaces pour l’humanité, globalisation, qui nous conditionnait à agir ensemble en vue d’écarter les menaces qui pèsent sur l’humanité et de bâtir un monde d’entente et de dialogue. Cette doctrine ouvertement prônait la fin de la confrontation idéologique.

Mais, 1986 marque le début des déboires des Etats africains, confrontés à une crise profonde au triple plan économique, politique et social. Les salaires des agents de l’état sont gelés, les recrutements suspendus, les négociations avec les institutions de Breton Wood sont envisagées ou engagées…

Ainsi l’un dans l’autre, on ne pouvait s’empêcher de placer tout son espoir dans cette organisation, qui se voulait  apolitique, culturelle et humaniste, un creuset de dialogue et solidarité.

Ce contexte ne serait pas complet sans une allusion à  la lutte menée collectivement par les pays du sud depuis les années soixante-dix  pour le rééquilibrage nécessaire à opérer en matière de circulation de l’information entre le nord et le sud. En effet les pays du sud ont toujours porté une triple accusation en l’égard des pays de nord, accusations se résumant : au silence observé sur le tiers-monde, à la déformation des faits dans les pays du sud enfin à la propagation culturelle distillée sur les pays pauvres et techniquement faibles et tout ceci au nom de la doctrine du "free flow of information",  chère au monde occidental.

Une situation qui a conduit les pays pauvres à réclamer en 1976 un "nouvel ordre mondial de l’information" à la conférence Générale de l’UNESCO tenue à Nairobi. Une réclamation si renouvelée qui a conduit l’UNESCO à instituer la commission MCbride, chargée d’étudier la question afin de proposer des pistes de solutions aux revendications des pays du sud. Les rapports issus des travaux de ladite commission ont été approuvés en 1980 à une session de l’Assemblée Générale, avec pour effet dès 1981, l’institutionnalisation du programme International pour le Développement de la communication. Si l’occident globalement défendait le principe de la libre circulation de l’information, la France, friande de sa doctrine de "l’exception culturelle " ne fut pas insensible aux plaidoyers des pays pauvres, sur qui elle (la France) aurait souhaité compter dans ses combats contre une américanisation rampante, très visible, surtout dans le cinéma.

Tel fut le contexte à la fois historique, politique, et psychologique dans lequel la gauche au pouvoir depuis 1981 en France créa l’événement en invitant les pays francophones au premier sommet. Sommet qui a identifié les projets sus-cités.

VI° Le déséquilibre persistant

a) au plan infrastructurel

Lorsque nous parlons d’échanges culturels dans l’espace francophone, nous présumons de l’existence de produits de change, d’objets de transaction. Ce qui à son tour suppose la réunion de deux conditions. A savoir : les industries de production et les industries de diffusion ou de consommation.  Il est donc question à la fois de moyens techniques, financiers et humains. Cette opinion demeure valable et pour l’information au quotidien, et pour les magazines. Elle l’est aussi bien pour la production de livres que pour la production de film. Quel que soit le domaine qui retient notre attention, la situation qui prévalait dans les années 70 et qui motivait les revendications demeurent encore les réalités d’aujourd’hui. 

La communication audiovisuelle (radio et télédiffusion) en Afrique en général, reste dépendante de l’extérieur sur tous les plans ; à savoir :

-       sur le plan des équipements et de la construction même des infrastructures

-       sur le plan de la maintenance, des conseils techniques, et des fournitures

-       sur le plan de la programmation, plus précisément le contenu de la grille des programmes.

Une situation qui fait dire à TUDESQ A. J. que « dès sa naissance, en Afrique la télévision fut une prothèse occidentale appliquée au cerveau africains »[1]

 

Tableau N°1 : Situation actuelle des mass-média en Afrique de l’Ouest francophones

Remarque : Les données de ce tableau qui s’appuient sur les travaux de André-Jean TUDESQ sont vieux de 4 ans, et peuvent ne pas refléter exactement la situation en fin 2003. pour preuve,  les données actuelles sur le Bénin en matière de quotidiens indiquent un chiffre de l’ordre de 15. Toutefois, ce tableau montre la tendance des années 90, marquée par la rupture avec le monopole d’Etat sur la presse

 

 

 

Légende : Source : in ‘’ les médias en Afrique

T.A.A = taux d’analphabétisme des adultes   André-Jean  TUDESQ, 1999

X = moins de 5

XX = 5 à 20

XXXX 41 à 69

XXXXX 70 et plus, y compris les radios étrangères en FM

 

A la lecture des données qui figurent dans ce tableau, nous constatons que par rapport à la situation qui prévalait à la fin des années 70, certains changements sont intervenus. Les grandes Conférences nationales sont passées par – là avec leurs exigences de démonopolisation et de libéralisation du paysage médiatique. Ceci en application des nouvelles dispositions contenus dans les nouvelles constitutions adoptées ici et là. Ces différentes constitutions qui consacrent la volonté de transition des dictatures vers des sociétés démocratiques,  se sont pour la plupart du temps inspirées de la déclaration Universelle des Droits de l’homme de 1948.

 

b)_Hypothèses  de GALTUNG plus qu’irréfutables .

Johan Galtung est l’auteur d’un ouvrage qui a inspiré quatre hypothèses d’étude en matière de circulation de l’information dans un système de type "centre/périphérie. Ces hypothèses vérifiées dans les années 70, dans trente pays du Pacifique ont été ainsi formulées :

1.     le courant de l’information est unidirectionnel depuis le centre vers la périphérie.

2.     L’information du centre prédomine dans la presse de la périphérie.

3.      La rareté ou l’ absence des informations du sud dans la presse du centre

4.     Faible circulation de l’information entre pays périphériques (même partageant le même passé colonial.)

Ces hypothèses au départ vérifiées dans des pays du Pacifique demeurent valables pour les pays africains et ce jusqu’à ce jour. Mieux la situation s’est aggravée avec les nouvelles technologies de la communication. Aujourd’hui on parle de gouffre numérique.

Mais les moyens classiques tels que les livres, les documents radiophoniques ou télévisuels ne se sont pas développés. Les échanges, s’ils n’ont pas régressé, ont simplement disparu. Les contacts humains sont devenus plus difficiles pour diverses raisons. Nos maisons d’édition sont-elles devenues plus performantes ? Combien sont-ils nos écrivains, nos chercheurs édités ici ou dans un autre pays francophone, distribué dans tout l’espace que nous voulons construire ensemble. Que reste-t-il de l’idéal francophone quand un écrivain, un artiste, un cinéaste béninois ou togolais n’est connu que chez lui ? Où sont passés les projets de développement des industries culturelles et de la communication. Nos librairies, nos médias sont toujours inondés de programmes venus de Nord, mais combien de programmes du Sud sont dans leurs médias du nord, combien de nos livres sont dans les librairies du Nord ? Dans nos écoles, l’essentiel de nos matériels didactiques proviennent des pays du Nord, mais combien de nos livres servent-ils de support didactique chez eux au nom de la francophonie ?

 

VII °Esquisses des fondements de la doctrine francophone de l’asymétrie raisonnée

 

c) La vocation tronquée des médias du Sud

 

Au début du siècle dernier à la question de savoir à quoi servent les médias dans les sociétés modernes, les adeptes du courant de la "Mass communication research" ont répondu qu'ils étaient "des instruments indispensables à la gestion gouvernementale des opinions". Un des pionniers de ce courant, Lasswell, dans cette perspective, attribue trois fonctions majeures aux médias, à savoir:

"La surveillance de l'environnement

La mise en relation des parties de la société

La transmission de l'héritage social d'une génération à une autre."[2]

La fonction "surveillance", correspond selon ce chercheur à la collecte, au traitement et à la mise à disposition du public les nouvelles. La mise en relation, comme fonction est l'étape de l'interprétation de l'information, interprétation souvent suivie de prescriptions de conduites.

Enfin, par fonction de transmission d'héritage social, Lasswell entendait  assimilation des gens vivant dans une société, ce que Wright appelle plutôt processus de socialisation (J. Lazar, 1991, p34). Près d'un demi siècle après Lasswell, ce n'est pas A. Moles qui  démentirait

cette opinion lorsqu'il écrit que "les mass-médias transforment la culture moderne en présidant à la circulation et au renouvellement permanents des idées...Celles-ci suivent,selon le chercheur, un circuit dont l'élément moteur est constitué désormais par les médias. Ces derniers, en un sens constituent le système qui systématise la culture."(F.Balle, 1965, p 559)             .Nous nous permettons, d'ajouter ici que par culture il ne faut pas entendre le ‘folklore’ tel que tous nos discours souvent réducteurs le font  de jour. La culture telle que nous la comprenons et la concevons  est " un tout, qui comprend le savoir, la croyance, l'art, le droit, la morale et toutes les autres aptitudes et habitudes acquises par un homme en tant que membre d'une société " selon Tylor. C'est ce tout que les mass-médias  se doivent de refléter chaque jour et partout. C'est ce tout qu'ils se doivent d'explorer, d'expliquer, de dépouiller de ses tares, de critiquer et d'adapter au présent. Et c'est ce tout qui fait que les médias se  différencient  l’un de l’autre; car chaque média se doit de refléter d'abord son environnement, ses couleurs. Jamais encore les médias du Sud n’ont encore oeuvré dans cette direction. Ils les (mass média) ont eu  à servir  et servent encore la politique presque exclusivement, continue de la servir, et ce dans un grand dénuement et dans l'indifférence presque totale de tous: employeurs, employés, usagers, autorités de tutelle, élus.

Les radios africaines ont chanté "indépendance tchatcha" et ont fait danser la rumba aux africains. Aujourd'hui les télévisions se sont transformées en de géants miroirs mobiles enchantés et enchanteurs pour nos hommes politiques avides de popularité et de légitimité. Du narcissisme déconcertant. De la personnalisation du processus de communication. De la domestication de l'information. De l'instrumentalisation des hommes de médias .Politisation de la gestion des choses et des hommes. Tels sont les maux qui constituent de véritables obstacles à tous programmes d’échanges dans cet espace de la Francophonie. Dans ces conditions, revendiquer un rééquilibrage des échanges c’est œuvrer pour un ‘enclavement intellectuel’ des peuple du Sud. Et c’est bien-sûr, un tel raisonnement qui nous inspire la doctrine de l’asymétrie raisonnée à laquelle nous travaillons.

 

 

b)  Le réalisme optimiste

Le deuxième principe qui doit fonder la doctrine est celui du ‘réalisme optimiste’ qui doit consister à reconnaître que dans l’état actuel des choses, il n’est pas réaliste, à court ou moyen termes d’obtenir un rééquilibrage dans la circulation de l’information et des produits culturels dans l’espace francophone. Et ce pour des raisons à la fois, infrastructurelles,  structurelles et organisationnelles.

 

c)   Vision systémique de la francophonie.

La francophonie, si elle est perçue, non pas comme un conglomérat de pays et d’individualités, mais plutôt comme une entité dotée d’une qualité nouvelle, devrait être analysée comme un système. Dans ce cas alors, ce déséquilibre des échanges devra être considéré comme une caractéristique des processus de l’information du vieux système et non du nouveau. Il est donc indispensable de changer les  représentations qu’on se fait de certains phénomènes. Ainsi, analyser la francophonie comme un système, c’est avant tout accepter qu’elle « est une entité intérieurement organisée, une stabilité des éléments telle que tous les éléments sont si étroitement liés les uns aux autres qu’ils interviennent, par rapport aux  conditions ambiantes et à d’autres systèmes comme quelque chose d’unique. Quant à l’élément, c’est une unité minimale dans le cadre d’un tout unique où il remplit une fonction concrète » [3]

Il est donc question de substituer à la logique de l’équilibre mécanique ou mathématique  irréalisable, une logique de complémentarité positive et constructive entre les éléments du système ‘francophonie’ et travailler à la performance et à l’ efficacité de chacun des éléments de la structure du système.

VIII °Préalables à la performance des pays francophones du Sud
Si la France rayonne sur le plan mondial, c'est parce qu'elle y travaille. Un travail qui se fait dans une seule langue : le français, même si à côté de cette dernière , il y a le breton , l'alsacien et la langue corse et bien d'autres encore peut-être, sur ce territoire français âprement revendiqués par certaines tranches de la population française!

Par analogie nous nous permettons de dire que les pays francophones du Sud ne pourront vraiment rayonner hors de leurs frontières que s’ils assument pleinement leur francophonie, en oeuvrant pour la mise en place de programmes de radio et télédiffusion  en français  pour l’auditoire tant nationale que internationale. Car,  nous sommes tous conscients aujourd'hui, que travailler six heures par jour, et dans quatre ou cinq langues, comme s’est le cas au Bénin,ne favorise pas une communication efficace,  Ce modèle de fonctionnement a montré ses limites en terme de rentabilité et d'efficacité de l'action .Ce modèle que nous nous permettons de nommer "d'éclatement", émiette les efforts, et ne se justifie que pour et par les hommes politiques , dont la seule volonté est de faire des  moyens de communication, des machines de "campagnes électorales permanentes".

Prôner la mise oeuvre de programmes, peut-être sur le ouest-africain par exemple, en langue française, n'est point l'expression d'un mépris pour nos langues nationales. .Au contraire notre idée va dans le sens de la revalorisation du statut de ces langues, qui désormais, deviendraient des canaux pour des programmes autonomes à vocation régionale.

Tout ce qui précède nous conduit à la conclusion qu'il est nécessaire pour nos pays d'œuvrer  pour une nouvelle politique de communication, au sens la fois symbolique et pratique de terme. La nouvelle politique doit permettre aux mass-médias de devenir de puissants moyens d'intégration sociale et nationale, des outils de lutte contre l'ignorance et l'inculture, et des canaux de rayonnement international ce que nous appelons "la diplomatie populaire".

 

CONCLUSION

            La complexité de la problématique des échanges dans l’espace francophone tient  ses causes à la fois  de raisons historiques, économiques, politiques,  technologiques et psychosociologiques. Par conséquent, nous nous devons d’apprendre aussi  à penser cette complexité, au lieu de procéder par simplification et réduction, qui en réalité, conduisent à l’articulation d’énoncés inapplicables aux réalités concrètes. Le propre de la raison humaine  réside dans sa force créatrice, créatrice de valeurs singulières, de rapports inédits et de propriétés nouvelles. Mais cela  suppose que l’on sait non seulement cerner les problèmes, bien les poser, mais aussi bien les résoudre, produire des idées neuves et rejeter les stéréotypes existants.

            La doctrine francophone de « l’asymétrie raisonnée »,  à laquelle  on devra travailler dans la francophonie  n’est  pas une idéologie du renoncement à l’action des pays faibles. Elle est (devrait être) plutôt l’expression d’un réalisme, doublé d’un optimisme retrouvé et entretenu ensemble dans la francophonie en tant que système.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

BIBLIOGRAPHIE

 

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BALLE (Francis), Médias et sociétés. Paris : Montchrestien, 1988.- 629 p.

 

CHANSON (Philippe), Les Antilles françaises, lien d’émergence : d’une parole vers demain ?: tracées inéditesd’une diaspora d’origine africaine. – Genève : Atelier d’empressions de l’université, 2003. – 60 pages

 

CHAUDERSON ( R.), 1989, Vers une révolution Francophone. _ Paris : l’Harmattan, 1989. – 224 p.

 

CHATSKI (E), OUTOPIA TRADICIA MOSKVA : Progrès, 1990. – 450 p.(en russe)

FERREOL (G.) et

NORECK (J –P), Introduction à la Sociologie. Paris : Armand Colin,

1989. – 190 p

 

 

MIQUEL (Pierre), l’histoire de la radio et de la télévision, Paris : Librairie Académique Perrin, 1984. 388 p

 

SPIRKINE A.                                  Le matérialisme dialectique. Moscou ,

                                                            Progrès 1984 p 107

 

TUDESQ  ( A. J.)                                    les médias en Afrique. Paris :

                                                                     Edition Marketing, 1999

                                                          350 p



[1]  Tudesq A. J. les médias en Afrique. Paris : Edition Marketing, 1999 p.60

[2] Mattelart A. Mattelart M.  Histoire des théories de la communication. Paris, Découverte

[3] SPIRKINE A. Le matérialisme dialectique. Moscou , Progrès 1984 p 107

Données

 

Etatss

Pop en millions

% de citadins         

T.A.A

Nbre de quotidiens

Exemplaire pour 1 000 hbts

Parc de Radio en million

Radio pour

1 000

Radios privées

TV pour 1 000

Chaîne de TV privée

Bénin

5,67

31

63

08

03

0,6

108

XX

36,3

05

Burkina Faso

10,6

18

80,8

05

X

0,6

56

XX

8,3

02

Côte d’Ivoire

14,8

56

60

10

08

2,2

157

XXXX

59,6

02

Guinée

7,4

30,4

64,3

01

.

0,5

69,4

00

13

00

Mali

9,65

27

69

01

04

0,8

83

XXXXX

10

04

Mauritanie

17,79

55,1

62,3

01

.

0,3

128

01

20

01

Niger

10,8

23,1

86

01

01

0,5

52,6

XX

10

01

Sénégal

8

42,8

66,9

05

07

1,5

176

XX

72,7

01

Togo

4,4

41,8

48

01

03

0,6

140

XX

15,9

03

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